Chapitre 14

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J'entends mon nom de famille pour la première fois depuis des lustres. C'est celui d'Athéo, celui que j'ai rejeté. Une colère sourde prend naissance dans mon ventre. J'essaie de me relever pour affronter Maxime, mais la douleur est trop forte. Je suis incapable de bouger ne serait-ce que d'un seul centimètre mon bras. Je baisse la tête et regarde ma blessure, c'est affreux. De la chair pend, le sang ne coagule pas. Les nerfs sont à vifs, certains sont sectionnés. Je vois mon os et frissonne, geste qui m'arrache un gémissement de douleur. J'abandonne l'idée de me relever et je reste à genoux devant le monstre qu'est devenu Maxime. Je lève les yeux sur la personne qui m'a trahie, il a changé. Les yeux de mon ancien meilleur ami sont sombres, ils sont presque devenus noirs, il n'y a plus aucune trace du Maxime que j'ai connu. Celui qui se tient devant moi semble sans vie, il a perdu son éclat. Ses traits se sont durcis, j'ai l'impression qu'il s'est fait manipuler, ce qui est probablement encore le cas. Ses joues sont plus creuses, ce que je n'avais pas remarqué dans la bataille. Maxime sert la mâchoire et détourne son regard du mien. Des voix se font entendre plus loin, il regarde dans leur direction. Il retourne la tête vers moi, puis m'observe quelques secondes. Son visage s'adoucit et de la pitié traverse son regard si brièvement que j'ai l'impression de l'avoir imaginé. Il me sourit, ses yeux brillent d'un étrange éclat. Je ferme les yeux, une vague de fatigue m'envahit de nouveau. Maxime profite de ce moment de faiblesse pour me flanquer son poing sur l'épaule, directement là où sa hache a atterri. J'hurle de douleur, des étoiles dansent devant mes yeux. Je lutte pour rester en équilibre sur la neige. J'appuie ma main sur le sol et sers le poing en gémissant de douleur. Je ne veux pas laisser paraître que je souffre le martyr devant lui, il en serait beaucoup trop satisfait. Le traître me regarde en ricanant, il essuie le sang qui recouvre sa hache sur son manteau. Il secoue la tête, un sourir cruel sur les lèvres.

- Tu ne t'en remettras pas de sitôt, Blue, je ne t'ai pas manqué. Je suis plutôt fier de mon coup, ricane-t-il. Et puis, j'ai pris plaisir à te faire souffrir.

Ces mots prononcés, il fait tourner sa hache entre ses doigts. Il fait semblant de me refrapper une autre fois, puis éclate d'un long rire.

-Tu es trop drôle! Si seulement tu te voyais en ce moment, tu es si blême! Tu devrais aller voir un médecin..Ah mais c'est vrai, c'est nous qui l'avons!

Il éclate une nouvelle fois de rire. D'une main tremblante, j'appuie sur ma blessure. Je dois faire quelque chose pour arrêter le sang de s'écouler de mon bras, mais une grande fatigue s'empare de moi, je n'ai plus la force de faire quoi que ce soit. Ma lèvre tremble, je claque des dents. Je ne sais pas si c'est à cause du froid ou à cause du fait que je me vide tranquillement de mon sang. Le liquide vermeil coule sans arrêt, tachant de plus en plus le tapis blanc à nos pieds. Maxime se calme tranquillement, hoquetant de rire. Son regard se perd au loin, son visage s'adoucit. Il regarde une dernière fois le village, puis la maison de ses parents. Il me regarde une dernière fois, ses traits se redurcissent immédiatement. Il murmure quelque chose que je ne comprends pas avant de reprendre sa course. Il disparaît dans le paysage blanc sans laisser de traces. J'hurle de toute mes forces son nom, un hurlement de douleur et de colère déchire ma gorge. Ma vue s'obscurcie soudainement, je tombe sur le dos dans la neige, incapable de me tenir à genoux plus longtemps. Je cligne des paupières à plusieurs reprises dans l'espoir de voir quelque chose, mais rien n'y fait. Je me résigne à fermer les yeux et à laisser l'obscurité m'envahir. Les visages de tous les hommes que j'ai tués dansent devant mes paupières closes. Parmis eux, je reconnais celui de Dahn, qui me sourit tristement. Serait-ce la fin? Vais-je mourir, seul dans la neige? Je me sens tranquillement partir, une chaleur m'entoure. J'ai l'impression de flotter. Je me sens bien, je n'ai plus mal. Je n'ai pas envie de combattre, à quoi bon? Je ne fais qu'apporter malheur et mort autour de moi. Les visages de hommes que j'ai tués s'effacent subitement de mon esprit. Celui de Sarka, puis celui de Groen s'incrustent dans mes pensées. Je chasse l'envie de me laisser abattre: je ne peux pas les abandonner après ce qui vient de se passer.

J'ouvre les yeux et fixe le ciel gris un moment. Les flocons continuent de tomber, fondant sur mon torse nu. Je ferme les yeux et compte jusqu'à trois. Je me relève péniblement, un éclair de douleur transperce mon épaule. Je serre les dents et grogne. Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas hurler de douleur. Je baisse les yeux sur mes pieds, me forçant à les faire avancer. Je pose un pied devant l'autre, très lentement. Le sang coule le long de mon bras sans relâche. Je me sens étourdi, je perds l'équilibre plusieurs fois. Je me relève à chaque fois, pensant à Sarka, Groen, Jessica et à Cléo. Sa petite frimousse apparaît devant moi, je dois continuer me battre. Je dois la protéger coûte que coûte. Cette petite est née avec notre foutu don, elle en a déjà connu les conséquences si jeune. Les voix que j'avais entendues plus tôt se rapprochent de moi. La douleur me fait halluciner, je vois mon père ricaner, puis Maxime. Des larmes coulent le long de mes joues. Je j'arriverai jamais à trouver de l'aide. À bout de force, je tombe par terre, à genoux dans la neige. Haletant, je n'ai plus la volonté de continuer, la douleur est trop forte. Tout ce que j'ai le temps de voir avant de sombrer pour de bon est une chevelure rousse au loin.

- BLUUUUE!

Blue (Suite)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant