Blue (Suite)

Chapitre 7

Deux ans se sont écoulés depuis ma bataille avec Maxime. À chaque fois que je le croise, il évite mon regard ou disparaît, carrément. J'ai essayé à quelques reprises de lui reparler, mais j'en suis sortis le nez en sang plusieurs fois. Groen s'est remis de ses blessures et habite maintenant avec Jessica. Elle attend même un enfant. Ils ne savent pas vraiment si c'est un garçon ou une fille, mais ils préfèrent avoir la surprise. Groen se croise les doigts, il espère que son enfant n'aura pas le même maudit don que nous. Jessica a bien pris la nouvelle, nous nous attendions à beaucoup pire, il craignait même qu'elle ne veule plus lui parler. Elle lui a seulement demandé d'utiliser ses flammes le moins possible, ce qu'il a accepté avec soulagement. Sarka a repris l'ancien magasin d'Anna et l'a renommé en l'appelant seulement Magasin général. Elle n'avait d'autres idées de noms, et on ne voulait pas à avoir à en trouver un. Les affaires vont plutôt bien, nous habitons au dessus du magasin. J'ai tenu à tout jeter ce qui concernait Anna, bref, nous avons presque tout jeté. Nous n'avons gardé que les meubles. 

Je m'assis sur le lit, devant la fenêtre, perdu dans mes pensées. Il fait si noir à l'extérieur, seules quelques étoiles brillent ici et là. C'est étrange, je n'ai pas l'impression d'être à ma place. Je ne pensais jamais dire ça un jour, mais mon ancienne chambre me manque.  À cette pensée, des dizaines d'autres surgissent. Je me revois à 8 ans, intimidé et brûlé. Je ferme les yeux et je sers les poings. Je les empêche ainsi de trembler, des images défilent devant mes yeux clos. C'est douloureux, je sens que mon cœur se resserre de plus en plus dans ma poitrine. J'ouvre soudainement les yeux, paniqué. L'air sort de mes poumons pour ne plus y revenir. Je tombe du lit et me retrouve à genoux, une main sur la poitrine, déformant mon chandail. Incapable de rester plus longtemps à genoux, je tombe à la renverse. Les secondes paraissent des heures, vais-je mourir? Fixant le plafond, cherchant en vain mon air, les larmes me montent aux yeux. Le visage de Sarka, souriante, apparaît dans mon esprit, suivi de celui de mon frère et de Maxime.  J'espère qu'il me pardonnera un jour...

Je me réveille en sueur, les deux mains sur la poitrine. J'ai rêvé?  Mais, c'était tellement réel, je ressens encore le fantôme de la douleur au creux de mon être. Je me lève, encore ébranlé, et je descend les marches pour rejoindre Sarka au magasin. Derrière le comptoir, les cheveux relevés en une queue de cheval, elle compte l'argent de la caisse. Je souris idiotement, elle est si belle. Dos à elle, j'entoure sa taille de mes bras, puis pose ma tête sur son épaule. 

- Bonjour , me dit-elle, un sourire dans la voix. 

Je lui répond en posant mes lèvres sur son cou, un geste qui la fait frissonner. Elle se tourne et enroule ses bras autour de mon cou avant de m'embrasser. Je souris en lui rendant son baiser, rien ne peut décrire l'amour que je ressens pour elle. Nous restons collés l'un à l'autre jusqu'à ce que quelqu'un toussote un peu plus loin. Sarka se décolle de moi comme une balle, ses joues rouges comme des tomates. Groen pouffe de rire, plié en deux. par chance, personne n'est dans la boutique à une heure aussi tardive. Nous attendons qu'il se calme,  ce qui prend quelques instants. 

- On aurait dit que tu as vu un fantôme, Sarka! dit-il avant de recommencer à rire. 

Cette dernière me regarde et roule les yeux, ce qui me fait sourire. Elle secoue la tête puis recommence à compter les billets. 

- Tu n'es pas sensé être le plus vieux de nous toi, Groen ? dis-je en souriant. 

- Mais oui, mais oui, dit-il péniblement, mais disons qu'avec la grossesse de Jessica, je ne dors pas vraiment. Elle commence à avoir de plus en plus de nausées, termine-t-il, plus sérieux. Ça commence à m'inquiéter. 

Je le regarde dans les yeux, rarement je l'ai vu ainsi. Des cernes creusent le dessous de ses yeux, il parait 10 ans plus vieux que ses 20 ans. 

- Veux-tu qu'on aille la voir ? , je me lance. Peut-être que ça lui fera du bien. 

Sarka reste silencieuse, mais elle hoche la tête. Groen nous regarde quelques secondes, avant d'acquiescer. 

- Venez. 

Nous enfilons nos manteaux avant de sortir, le printemps tarde à montrer le bout de son nez. Nous marchons en silence, personne n'ayant quelque chose à dire. Normalement, le trajet se fait en quelques minutes à peine, mais la neige et le froid nous ralentissent. Nous arrivons enfin à la grande demeure en bois rond, et nous nous dépêchons de rentrer, complètement gelés. 

- Montez, elle est à l'étage, je dois remettre du bois dans le foyer. 

Sarka, qui n'a pas prononcé un mot depuis que nous sommes partis, hoche une nouvelle fois la tête avant de gravir les escaliers. Je la suis du regard, un peu inquiet, elle n'agit pas comme d'habitude. 

- Comment vont tes blessures ? je demande à mon frère aîné. La dernière fois, tu m'avais dis qu'elles te faisaient mal. 

- Elles vont mieux, mais je boite un peu, après tout, ma jambe a été totalement retournée, dit-il en ricanant. Sinon, ça va. Et toi ? Tu as toujours tes...malaises ? 

- Ouais, dis-je en passant une main dans mes cheveux déjà décoiffés. Ils sont plus rares, mais ils se produisent encore. 

J'hésite à parler de ce qui s'est produit plus tôt, je ne veux pas avoir l'air plus fou. Certaines personnes au village me regardent encore de travers à cause des deux fois où ces malaises se sont produits en public. Je sors de mes pensées lorsque Groen se relève difficilement. Avant que je puisse l'aider, il est déjà debout. Il chancelle quelques instants, il se stabilise en agrippant l'étagère de pierre au dessus du foyer. Il ferme les yeux et prend une grande respiration pendant que moi, je reste planté dans le salon, entre deux fauteuils. Je m'apprête à lui demander sil a encore peur que son enfant développe notre maudit pouvoir lorsqu'un bruit de pas dévalant les escaliers me fasse sursauter. Sarka, toute essoufflée, tient la rambarde à deux mains, le regard affolé.  

- Jessica est entrain d'accoucher...!