Chapitre 5 : La clé du courage

139 12 2
                                    

Nightmare – Lillian Hepler

Mercredi 17 juillet, 17h59
France, Paris
PDV Sky

Sortant de la bouche de métro, je serre dans ma main la petite clé en métal. Les lunettes de soleil sur le nez, les joues rouges et les mains moites à cause de la chaleur, aucun courant d'air ne daigne traverser la capital pour s'abattre sur mes jambes dénudées. Arpentant les avenues jusqu'à la maison, mes pensées sont toutes tournées vers le petit bout de cuivre prit au piège par mes doigts. Hier soir – un peu à la dernière minute, je dois l'avouer – mon portable sous les yeux, j'ai fini par envoyé un message à mes entraîneurs. Pour moi, quitter le pays sans officiellement leur dire au revoir n'était pas envisageable.

Six années auparavant, quand j'ai débarqué ici, j'étais perdue, seule et complètement submergée par le vide amer que provoquait l'absence de Liam. En réalité, je n'avais plus vraiment goût à quoi que ce soit. Je subissais le temps, comme si il s'agissait de mon pire ennemi alors que la distance remplissait déjà ce rôle à la perfection.

À cette époque, je me sentais impuissante. J'avais l'impression que le monde s'acharnait sur moi, que rien ne s'arrangerait et que tout resterait définitivement insurmontable. Je ne peux pas nier que lorsque l'on est brisé, tenter de recoller les morceaux n'est pas la plus simple des tâches. Accepter que l'on ne va pas bien, laisser les autres nous aider, commencer à comprendre que chaque situation n'est pas définitive et progressivement remonter la pente, c'est un combat de tous les jours. Mes frères étaient les premiers à me tirer vers le haut, me pousser, m'aider.

Jamais je ne pourrais oublier que Charles et Jérémie ont été les seconds.

Quelques mois après notre déménagement, ils sont tous les deux entrés dans ma vie de manière totalement inattendu. Découverte, initiation, apprentissage, connaissances, course, entraînement, acharnement, je suis tombée dans ce sport : la course d'orientation.

Il y a quelques heures seulement, je les ai retrouvé au local du club, en périphérie de la ville. Pour tout ce qu'ils ont fait pour moi, je me devais de les remercier. Après la nouvelle, je n'ai pas pu les quitter immédiatement. Nous avons discuté sans réel but, c'était simplement la dernière conversation – probablement avant bien longtemps – avec eux deux. Puis au moment de partir, c'était mes derniers remerciements les plus sincères, pour toute l'aide qu'ils m'ont, l'un comme l'autre, apporté dans ma vie, sans même en avoir conscience. Mais avant de franchir définitivement le seuil du local, Jérémie m'a interpellé. Il s'est approché lentement et a saisi ma main avant d'y coller cette fameuse clé et de refermer mes doigts par-dessus avec ses mots « Tu reviendras nous voir ».

Face à ses yeux perçant et son sourire d'adieu, je n'ai pas pu refuser. J'ai acquiescé, pour lui confirmer en appuyant mon geste d'un dernier mot « j'essaierai », avant de me retourner. Peut-être dans six mois, un an ou même trois, je n'en ai aucune idée. Le problème c'est que je ne sais pas si je voudrai revenir ici un jour. Cette ville, ce pays, je n'y ai pas vécu mes meilleurs années puisque ma reconstruction a été longue et douloureuse. Je ne sais pas si un jour, j'aurai le courage de revenir et de me confronter à tout ce que cet endroit signifie pour moi. J'y ai beaucoup souffert, beaucoup pleuré. Il m'a forcé à perdre le contact avec la personne à laquelle je tenais le plus sur cette planète. Séparés par neuf mille kilomètres, tout a été différent.

Après plusieurs minutes, je pénètre à l'intérieur de la maison. Soudainement, la température y est bien plus agréable qu'à l'extérieur. Interpellée par les cris provenant de l'étage, je ne m'attarde pas au rez-de-chaussée. Glissant la clé du local dans la poche de mon short, je me dirige directement vers la chambre de Cameron, d'où provient toute cette agitation. M'appuyant l'épaule contre l'encadrement de la porte, je croise mes bras sur ma poitrine et affiche un sourire. Mes deux frères sont assis au pied du lit, une manette en main, les yeux totalement absorbés par l'écran plat.

Ma vie en un seul mot ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant