Un suicide vivifiant

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31 décembre. Aimé haïssait le 31 décembre. Cette injonction à aimer, à s'amuser, à mettre de côté ses problèmes l'insupportait. Il sourit néanmoins, car cette année il n'aurait pas à souffrir cette cérémonie consternante. Cette année, il partirait, enfin. Plus rien ne le rattachait à cette vie. Cette dernière année avait fait office de répétition, de confirmation de sa résolution. Il espérait, pour peu qu'il espérât encore quoi que ce soit, qu'on ne mettrait pas sa décision sur le compte de la maladie mentale ou du geste irréfléchi. Aucun geste n'avait été plus pensé, soupesé que le sien.

Trois cent soixante-cinq jours qu'il tournait autour. Trois cent soixante-cinq jours depuis qu'elle l'avait quitté, trois cent soixante-cinq jours depuis que sa seule raison d'être avait disparu. Il n'avait vécu que pour son bonheur et il avait totalement échoué. Son ratage, par son ampleur, ne laissait aucune place au doute, au regret.

D'autant que sa femme, éteinte, malheureuse auprès de lui, avait retrouvé le goût de la vie dans ce monde meilleur qu'était son monde sans lui. Il en avait d'abord conçu une jalousie gigantesque, puis un soulagement aussi énorme : elle était heureuse. Au moins, il avait réussi cela. Pas directement, pas volontairement, mais finalement, puisque sa disparition avait rendu sa femme heureuse, il aimait à penser qu'il contribuait un petit peu, par son absence à son bonheur actuel. Restait un doute : et si sa disparition portait atteinte à la félicité de son ex ?

Non, il avait beau y revenir sans cesse, il prenait conscience que seul son ego s'exprimait. Et puis, la lettre longue et circonstanciée qu'il laissait en guise d'héritage dédouanait tout le monde et, de manière particulièrement subtile, sa femme. Ou plutôt l'ex-femme de ce qui allait devenir son ex-vie.

Une question le taraudait toujours, sans qu'il puisse y trouver un enjeu : devait-il se suicider avant ou après le Nouvel An ? Il opta pour la nouvelle année, sans savoir pourquoi d'ailleurs.

Enfin, en ce premier janvier, quelques heures après le début de l'année, il ingurgita la mixture capable, toutes ses lectures en attestaient, de tuer une dizaine d'hommes. Satisfait, il alla s'allonger dans sa chambre, ferma les yeux, laissant l'image de sa femme s'imprimer, pour qu'elle fût la dernière qu'il emporta.

*

Lorsqu'il ouvrit les yeux, sa tête le lançait. Il mit du temps à se remémorer les évènements de la veille. Ou de l'avant-veille d'ailleurs ? Il consulta son implant : il avait dormi trois jours. Dormi ? Comment était-ce possible ? Où était-il ? Dans un hôpital. Alors il ressentit une brulure, dans tout son corps. C'est le moment que choisit un doctobot pour pénétrer dans la chambre. Son écran de tête s'alluma, affichant le visage bonhomme de ce qu'Aimé supposa être un médecin :

– Bonjour, monsieur. Alors, on a eu une petite faiblesse ?

L'air patelin de cette machine l'insupportait.

– Faiblesse ? Au contraire ! Un accès de force? Et pourquoi suis-je encore là ?

Le sourire s'agrandit, tout comme l'énervement d'Aimé.

– Votre implant monsieur, votre implant vous a sauvé la vie. À l'instant de votre prise de médicaments – et il marquait la désapprobation sur le terme médicament- il nous a indiqué votre geste, votre localisation. Sept minutes plus tard, nous vous injections les premiers lavements et vous voilà propre comme un sou neuf.

L'implant ? Mais il l'avait désactivé !

– Mais, je ne comprends pas, vous n'auriez pas dû pouvoir m'identifier.

– Et pourquoi donc ? s'enquit mielleusement la machine.

– Mais pour respecter ma volonté. Il y a quand même le droit de se couper du monde ! Surtout quand on veut s'en extraire enfin !

Nouvelles noires pour se rire du désespoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant