L'éclosion

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Quand Yvan se retourna une seconde fois pour vérifier qu'il ne rêvait pas, son regard resta accroché à la voûte céleste. Non pas que la nuit fût déjà là, il n'était alors que quinze heures, mais c'est ce que lui inspirèrent les yeux de Perrine.

- Quatorze ans, bredouilla-t-elle.

« Ah oui, c'est vrai ! » pensa le garçon. Il venait de lui demander son âge, et c'est précisément pour cette raison, qu'il avait dû y regarder à deux fois.

« Plutôt douze ! » avait-il pensé juste avant de tomber en pâmoison devant ces yeux là. Et même après qu'il a difficilement réussi à s'échapper de leur emprise, l'étrange sentiment qu'ils lui avaient procuré, le déstabilisa au point qu'il n'osât plus poser les siens dedans. Seuls quelques œillades bien placées lui permirent de vérifier qu'il ne s'était pas trompé. Perrine n'avait rien d'une jeune fille, à peine avait-il remarqué des seins sous son pull. Sa première impression ainsi confirmée et de nouveau confiant, il préféra alors ignorer l'incident autant que celle qui en était la cause et revenir à la charge auprès des trois amies de celle-ci.

« Non mais regardez-les, » pensa aussitôt Perrine en constatant l'air hébété de ses copines quand il leur sourit. Si elle n'avait pas été si timide, elle se serait bien plantée devant lui et lui aurait demandé ce qui n'allait pas chez elle ! Mais face à l'envie soudaine de se trouver à leur place, elle choisit plutôt que l'action, l'observation. C'était la première fois qu'elle ressentait cela, car habituellement les tentatives de séductions de ses amies lui semblaient stupides et totalement dénuées d'intérêt. Ce garçon lui était parfaitement inconnu, comment se pouvait-il qu'elle ait la curieuse impression de les détester ? Et lui, pourquoi s'obstinait-il à ne plus vouloir la regarder ? Etait-elle donc si laide ?

De cet état, elle s'était souvent fait la remarque et ce soir-là, Yvan s'était éloigné en prenant la main de Magali. Perrine était alors rentrée chez elle avec l'étonnante idée de ne plus pouvoir vivre sans lui. Au comble du désespoir, elle ne s'était jamais sentie plus affreuse.

***

De grosses larmes coulaient déjà depuis longtemps sur ses joues, quand elle trouva la force de se relever. Quelques peluches parsemaient encore son lit, deux ou trois jeux d'enfant étaient alignés sur la commode et deux poupées Barbie fraîchement habillées de robes du soir à paillettes, discutaient sur son bureau d'écolière. Elle les avait ainsi vêtues le matin même et comptait leur inventer une sortie à l'Opéra. Une moue dubitative sur les lèvres, Perrine se dirigea vers elles. « Quelle drôle d'idée, pensa-t-elle. Tout ceci est ridicule ! » Dans un geste rageur, elle envoya voler les jolies demoiselles de latex qui échouèrent sur le parquet. Finalement, le reste irait avec elles, au fond d'un sac. Plus tard, elle demanderait à son père de le monter au grenier, mais pour l'heure, il lui fallait encore éclaircir quelque chose. Le grand miroir de l'armoire en point de mire, elle resta plantée devant mais n'y trouva pas le reflet espéré, car rien ne lui parut plus laid que l'image qu'il lui renvoya. Elle détestait son apparence, surtout ses cheveux. Sa mère et sa jeune sœur les avaient lisses et blonds alors qu'elle, avait hérité de cette « infâme tignasse brune. » De même que ses yeux étaient aussi noirs que les leurs étaient bleus. Mais le pire était caché au plus profond d'elle-même, car de ses amies, elle était la seule à avoir gardé sa silhouette d'enfant. Les autres en riaient gentiment, pensant que leurs taquineries à ce propos ne la touchaient pas. C'est d'ailleurs ce qu'elle s'efforçait de laisser croire, mais cette différence l'excluait encore de l'idéal féminin qu'elle admirait, et dont sa mère était l'emblème à ses yeux. La tête en désordre, et ne sachant pas comment faire face à toutes les pensées déstabilisantes qui l'assaillaient, elle décida d'en parler le soir même avec elle.

Un amour à abattreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant