Perrine savait que sa mère allait mieux mais qu'elle tarderait à rentrer. Son père lui avait appris que les docteurs préféraient la garder encore un peu en observation. La savoir en sûreté la rassurait et lui donnait le loisir de consacrer toutes ses pensées à Yvan et ses amis. Aussi, durant l'éternité que lui sembla durer le trajet, elle imagina l'accueil qu'ils lui feraient. Elle revit en pensée ses moments de complicité avec Yvan, leurs fous rires et leurs émotions communes. Elle construisit aussi l'avenir, qu'elle vit dans le regard d'Yvan bien sûr. Pourtant, quand la vieille Citroën bifurqua à droite à Evry, elle aperçut les traces qu'avait laissée la voiture de Sofia sur le bas-côté et son ventre lui fit mal. Elle se sentit coupable de ne pas avoir davantage pensé à sa mère.
- Papa, crois-tu que je pourrai aller voir maman à l'hôpital demain ? Elle chercha le regard de son père dans le rétroviseur central mais il resta les yeux fixés sur la route.
- Non Perrine, répondit-il d'une voix qui sonnait comme une excuse. Ta mère est fatiguée. Elle préfère se reposer et vous retrouver en pleine forme dans quelques jours.
Perrine accepta cette réponse sans difficulté et retourna à ses rêveries. Pourtant la vérité était toute autre. Sofia avait quitté le service neurologique pour être conduite en Gynécologie. L'enfant qu'elle portait, après avoir vécu pendant les quelques jours qui avaient suivi l'accident, était mort. Plus secouée qu'elle ne l'aurait cru ? Elle récupérait tout doucement. Etaient-ce les pensées coupables qu'elle avait eues qui lui valaient le malaise qu'elle ressentait ? Si elles n'en étaient pas totalement responsables, elles n'en étaient pas absentes non plus.
L'ombre intrigante du château d'eau se dessina peu à peu au loin, le cœur de Perrine se mit alors à battre très fort. Sofia quitta son esprit et Yvan y reprit sa place. Etait-il assis sur la grosse pierre comme d'habitude ? L'attendait-il ? Etait-il aussi impatient qu'elle ? La tête emplie de toutes ces questions, elle ne quitta plus des yeux l'édifice.
***
Vite, le linge dans le panier, la valise au placard, une petite remise en beauté et Perrine serait prête à aller rejoindre ses amis.
L'élastique au bout des doigts, elle allait le placer à l'extrémité de sa longue natte, mais se retint, soudain pensive. Ce geste lui rappela comment Yvan l'avait regardée quand elle avait défait ses cheveux devant lui. Elle avait envie de revoir encore ses yeux là posés sur elle et laissa sa chevelure libre.
Le cœur léger et remplie d'une confiance nouvelle, elle traversa le terrain en friche qui bordait l'ancienne usine Delongre, se faufila sous les fils barbelés et s'engagea sur le sentier qui montait jusqu'au château d'eau. On pouvait aussi y accéder par la route, mais c'était beaucoup plus long et elle était pressée. D'ordinaire pourtant, et surtout comme aujourd'hui, quand le temps était incertain, elle faisait le grand tour, car elle n'était jamais très rassurée quand elle se retrouvait seule au milieu de ce terrain vague.
Quand à bout de souffle, elle atteignit le sommet de la côte, elle trouva Térésa et Yvan assis l'un contre l'autre sur la grosse pierre. Yvan avait posé sa main sur la hanche de la jeune fille. Le choc fut tel que Perrine crut ne jamais pouvoir reprendre sa respiration. Térésa l'aperçut la première et jeta aussitôt un regard inquiet au garçon. Il releva vivement la tête et la vit. Curieusement, son visage s'éclaira et Térésa n'exista plus. Il se leva lentement sans quitter des yeux Perrine et fit quelques pas dans sa direction.
A cet instant, la lourde menace que le ciel chargé d'orage, faisait planer au-dessus de leurs têtes, ne les empêcha pas de voir le soleil. Celui qui habitait leurs cœurs de sa toute puissance. L'herbe à cet endroit n'avait pas été tondue de tout le mois. Ses longues flammèches irisées sous la pluie naissante se jouaient du vent comme leurs cheveux. Ceux de Perrine virevoltaient autour de son visage.
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Un amour à abattre
RomanceEn 1986, Perrine est une jeune adolescente réservée. Elle partage sa vie entre ses trois fidèles amies, Marie-Ange, Térésa, Magali et sa famille dans la banlieue sud de Paris. Une belle complicité règne avec sa mère et bien que les fins de mois soie...