11. Séduction

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422, 11ème lune, 6e jour.

Hier, à l'église, le Pasteur Prindis a parlé de Dizrye et Freydjan. Il a eu vent de certaines rumeurs au sujet des étrangers du grand froid, et il souhaitait clarifier les choses. Il nous a rassurées sur leur nature et nous a mises en garde contre le blasphème de penser qu'ils puissent être envoyés par les dieux. Il dit, par exemple, que Dizrye est comme nous, mais que le Créateur l'a fait cuire plus longtemps, comme le pain oublié dans le four. Il n'aura pas le même goût, il sera même certainement moins bon que nous, mais il nous est semblable. Le même principe s'applique pour Freydjan, sauf que lui n'est pas assez cuit. Ah, si la matronne ne nous obligeait pas à assister à ces séances, je me passerais bien de ce verbiage stérile.

Malgré tout, pour être sûre, j'en ai parlé à Dizrye aujourd'hui pour notre première rencontre secrète. Nous avons convenu de nous voir chaque soir après ma journée de travail. Nous mangerons ensemble dans la salle de repos qui jouxte l'écurie de la maison de chasse où Dizrye a débuté son apprentissage. Ça ne semble pas le passionner. Par contre, j'ai l'impression qu'il avait hâte que nous débutions la tâche que Velka m'a confiée. Je dois avouer que je ressens moi aussi une certaine excitation à l'idée de tenir ces réunions secrètes, mais la responsabilité me paraît bien lourde, sans parler des conséquences si nous sommes découverts. Il est déjà très inconvenant qu'une femme et un homme se voient seuls à une heure tardive, qui sait ce que penserait Bolek de ce manuel de myslivec ? Ce serait le fouet pour nous deux.

Enfin, j'ai pensé utiliser cette première rencontre pour en découvrir davantage sur Dizrye, et je lui ai fait part des idées du Pasteur, avec deux miches de pain pour illustrer mon propos. Je crois l'avoir choqué. Il m'a répondu d'un air contrarié :

« Tu ne penses pas ça, Jen ?

Non, Dizrye. Mais je voulais ton avis.

Je te dis comment on appelle ça dans ma langue. »

Il m'a fait répéter plusieurs fois pour s'assurer que j'avais bien entendu. Il dit que c'est « kon ryj ». Ça n'a pas l'air d'être une expression gentille, mais je vais m'en souvenir pour qualifier tout ce qui sort de la bouche du Pasteur Prindis. Le bilan de cette première séance est bien cruel pour moi. Au lieu d'aider Dizrye, c'est moi qui ai reçu une leçon.

422, 11ème lune, 11e jour

Voici comment je procède. Il faut bien que je trouve le temps de faire la lecture du manuel. Je m'y atèle chaque soir à la bougie dans le dortoir de la maison des vieilles filles. Ça ne fait pas plaisir aux autres. Déjà que je rentre après l'heure autorisée, sous prétexte de faire le ménage chez Velka. À peine assise à mon chevet, j'allume ma chandelle et j'ouvre le vieux grimoire aux pages cornées.

Mirka se plaint que ma lumière l'empêche de dormir et qu'elle commence sa journée de travail tôt le matin. Je n'en ai vraiment rien à faire, et je lui ai fait savoir. Je ne la crains pas. Je m'inquiète par contre qu'elle ne vienne se plaindre à la matrone. La vieille Lidmila serait capable de faire ouvrir mon coffre pour fouiller dans mes affaires et découvrir mes activités.

Heureusement, je peux compter sur le soutien de Lenka pour garder Mirka sous contrôle. Mais Lenka n'est pas stupide. Hier, en allant au marché, elle m'a clairement expliqué son point de vue. « Jenovefa, personne ne croit à ton histoire de recherches sur l'histoire de ta famille. Tu sais que je suis ton amie et je t'aiderai du mieux que je peux, même si tu ne veux pas me dire de quoi il s'agit, et même si c'est pêché. Promets-moi juste que tu n'as pas volé un vieux grimoire chez Velka pour devenir une vieille sorcière ridée comme elle. »

Babylon - Le Voyageur DésiréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant