9. Intégration

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Čížečku, čížečku, (Petit tarin, petit tarin,)
ptáčku maličký, (Petit oiseau,)
pověz mi čížečku, (Dis-moi, petit tarin)
jak sejou mák? (Comment le pavot se sème ?)

Aj tak, tak sejou mák, (C'est comme ça que les pavots se sèment,)
aj tak, tak sejou mák, (C'est comme ça que les pavots se sèment,)
aj tak, tak sejou mák, (C'est comme ça que les pavots se sèment,)
tak sejou mák. (Les pavots se sèment.)

Comptine traditionnelle Tchèque

Les enfants chantaient en faisant la ronde dans la cour d'école. Désiré se tenait à part, appuyé contre la barrière, observant la vie du village. Dans un premier temps, il s'était senti humilié de s'asseoir sur les bancs avec des gosses de dix ans. Écœuré par l'odeur de tourbe omniprésente, dont chaque élève amenait une motte le matin pour alimenter le poêle qui chauffait la salle de classe. À son premier retour, il avait copieusement insulté Freyd de ne pas avoir été fichu de lui éviter ce traitement.

« Je vais pas me faire torcher le cul avec les mioches.

— Désiré, je sais que tu es en colère, mais fais un effort pour parler plus clairement.

— Va ken ta daronne la teupu.

— Hé, j'ai pas compris, mais fais attention à ce que tu dis. »

Finalement, il avait pris l'habitude des vêtements en laine qui gratte, des sous-vêtements en lin qui gratte encore plus, de faire deux fois la taille de ses camarades, de se tenir tranquille sans faire de blagues, et d'écouter la leçon. Aujourd'hui, il s'étonnait de ses progrès. En France, à partir du collège jusqu'à la fin de son BTS tech de co, l'école n'avait été qu'un lieu où faire l'imbécile avec ses potes et se fendre la poire. Et les profs étaient merdiques. Ici, il ressentait comme une nécessité vitale de ressortir de la classe en ayant intégré de nouvelles choses.

De plus, ses nouvelles capacités rendaient son oreille plus fine et il n'avait pas de mal à assimiler les bases de la langue. Il savait déjà dire « Jmenuji se Dizrje tmavy v domu Boleka », je m'appelle Dizrje le sombre de la maison de Bolek. Il avait tenté de rectifier l'orthographe de son prénom en l'écrivant au tableau, mais Tereza la maîtresse avait secoué la tête et corrigé pour que la prononciation soit plus juste. Désiré avait capitulé. Quant au surnom de « tmavy », il comprenait qu'il s'agissait d'un raccourci facile pour désigner sa couleur de peau, et il ne se sentait ni surpris ni offusqué. On l'avait désigné ainsi dès son arrivée, et les anciens avaient entériné l'usage. Il préférait son surnom à celui de Freyd, « bledy », le pâlichon.

Il découvrit avec étonnement que la société se structurait en quinze maisonnées d'importance variable, chacune représentée par un ancien dont le nom servait de protection à toute sa tribu. C'est ainsi que Désiré et Freyd avaient été placés sous la bienveillance de Bolek. Mais ce qui fit bondir Désiré, c'était la carte dans le manuel de géographie. À son grand désarroi, il comprit que l'intégralité du territoire de ce pays, qui se nommait « Svata Zeme », se résumait à un cercle d'un rayon de cinquante kilomètres. Au-delà se trouvait un territoire désolé, balayé par une tempête de neige perpétuelle et des vents polaires, que l'on nommait « Velka Studena », le Grand Froid.

Désiré avait tenté de dessiner une carte du monde du mieux qu'il pouvait, avec les continents et les océans, Tereza l'avait d'abord laissé faire, puis avait essuyé hâtivement le tableau avec la manche de sa robe, bafouillant une phrase contenant plusieurs fois un mot que Désiré identifiait comme de la désapprobation. Là encore, Désiré avait compris l'inutilité de perturber une classe d'enfants de dix ans, s'était résigné et était retourné s'asseoir la tête basse en disant « Ano pani », un genre de oui maîtresse.

Babylon - Le Voyageur DésiréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant