13. Rébellion

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Un son de cloche différent pour l'Africain
Fatalement différent pour l'Africain
Rase-lui la crinière, tu n'prendras jamais la royauté du lion
Rase-moi la barbe, imprenable est ma rébellion

Medine - Soul Rebel               

On pouvait même plus aller aux chiottes peinard. Après la disparition de Freyd, Bolek avait collé aux basques de Désiré un chaperon à plein temps. Le type, un petit bébé d'un bon mètre quatre-vingt-dix nommé Prokop Strazce v domu Boleka, accompagnait normalement Bolek dans tous ses déplacements, mais il avait été transféré à la surveillance de Tmavy. Il jetait de temps en temps un œil entre les planches des chiottes extérieurs pour vérifier que son boulet ne s'était pas fait la malle. Pour le faire lambiner, Désiré prenait son temps, malgré la puanteur asphyxiante de la fosse d'aisances, et se chantonnait des paroles de tout ce qui lui venait en tête, tout en se prenant pour Eddie Murphy dans le Flic de Beverly Hills.

Inutile de dire que dans ces circonstances il était devenu impossible de voir Jen. On l'autorisait toujours à travailler en cuisine, mais Bolek avait formellement interdit tout écart du trajet entre sa chambre et la maison des chasseurs, et la moindre sortie était proscrite. Le bon côté de la situation, c'était qu'il pouvait consacrer tout son temps à tenter de reproduire l'enchantement de Velka. Jusque-là, Désiré n'avait cru qu'à moitié en la réalité des soi-disant pouvoirs de la vieille sorcière. Le sort de vraie nature avait certes des aspects spectaculaires, mais pour ce qu'il en savait, son efficacité pouvait très bien dépendre d'un effet physiologique impressionnant doublé d'une confiance certaine dans la réalité de la magie. Une confiance aveugle.

Au-delà du jeu de mot, Désiré avait besoin d'une preuve irréfutable que ce qu'il avait eu tant de mal à reproduire en cuisine puisait bien ses racines dans la magie. Depuis l'évasion de Freyd et la démonstration de Velka, le doute s'était envolé. Ils avaient tous vu de leurs yeux le grand rectangle de lueur bleue éclatante, à l'évidence une porte entre les mondes empruntée par Freyd pour s'éclipser sans demander son reste.

À peine après avoir quitté la pièce, Désiré avait déjà résolu de reproduire l'incroyable sort révélateur de Velka, avec ses propres moyens. Pas facile, avec le regard inquisiteur de Prokop, les seuls ingrédients de la cuisine, et aucun moyen de sortir pour s'en procurer d'autres. Il ne parvenait pas à produire l'effet recherché, malgré ses tentatives. Des effets secondaires indésirables par contre, oui. Pour le dernier essai en date, la chiasse.

Dans le monde de Svata Zeme, le calendrier est lunaire. Chaque année, qu'on appelle Cycle, comporte douze lunes de chacune vingt-huit jours, plus une treizième qui n'est pas complète et permet de faire la transition entre le Cycle qui s'achève et le suivant. On la nomme « Obnoveni Mesic ». Le symbole du recommencement se retrouve alors au cœur de festivités et de célébrations qui occupent toutes les catégories de la population. La ferveur religieuse est à son comble et l'on tient de nombreuses cérémonies visant à implorer les dieux de renouveler le miracle qui tient à distance les vents glacials du Grand Froid.

Chaque chef de tribu doit s'associer à ces grands rassemblements. C'est pour cette raison qu'un après-midi, Prokop, d'ordinaire peu loquace, s'approcha de Désiré qui attaquait la plonge après un service éreintant, où Bedrich et son apprenti avaient travaillé sans cesse pour préparer un repas officiel tenu dans la maison des chasseurs. Prokop se rapprocha d'une démarche mal assurée et dit à Désiré: « Tu en as pour longtemps, le sombre ?

Oui. Tu vois, Bedrich m'a laissé toute la vaisselle à faire.

Je vois. Bon, Bolek me demande de l'accompagner pour la suite de sa visite officielle. Il m'a demandé de trouver quelqu'un pour me remplacer, mais je n'ai trouvé personne. Tu ne bouges pas d'ici ?

Babylon - Le Voyageur DésiréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant