24h pour se plaire [Sope]

Une heure

Le whisky a vraiment un goût dégueulasse. Pour au moins la trentième fois depuis que cette maudite soirée a débuté, j'en viens à me demander ce qui a bien pu me passer par la tête pour que je commande un truc aussi répugnant. Et à chaque fois que cette interrogation me traverse le crâne, la réponse la suit de près : pour que Namjoon me fiche la paix. C'est un brave gars, Nam, mais s'il pouvait s'occuper de ses fesses, ou à la rigueur de celles de son petit-ami, plutôt que des miennes, ça m'arrangerait grandement. Déjà que je suis bien gentil de m'être rendu à cette soirée alors que je n'en ai clairement rien à foutre, il pourrait au moins avoir la délicatesse de me lâcher la grappe. Pas que je n'ai aucune sympathie pour Jimin, ledit petit-ami de mon meilleur ami, qui fête son anniversaire aujourd'hui, j'ai plutôt une grande affection pour ce gamin à la bouille d'ange dans un corps de dieu qui rend mon meilleur ami complètement gaga, mais j'aurais préféré une petite soirée tranquille devant la télé et des sushis dans notre estomac, comme on en fait chaque semaine, plutôt que de me retrouver coincé entre un couple en plein record d'apnée et un mec tout juste sorti de l'adolescence complètement défoncé, sous l'étroite surveillance du grisé. Il s'imagine quoi lui, que je vais m'enfuir si jamais il me quitte du regard ? Qu'il aille plutôt profiter des slows pour coller son roux plus que de mesure, je ne bougerai pas d'ici. J'ai déjà vécu une semaine avec un Namjoon qui boude, ça ne me donne pas envie de retenter l'expérience.

Je repique mon nez dans mon verre sans grand entrain, juste pour concentrer mon attention sur autre chose que tous ces corps psychédéliques. Et pour ne pas croiser son regard, à lui. Parce qu'il n'y a pas que Nam qui m'épie dans son coin, lui non plus ne m'a pas lâché du regard depuis que je suis entré dans cette pièce et qu'il y était déjà, reproduisant à la perfection la chorégraphie ridicule d'un girlsband populaire accompagné d'un Chimchim surexcité, certainement trop heureux que ce soit enfin le grand soir. Il m'a regardé comme toute personne lambda regarde un nouvel arrivant, avec curiosité et suspicion, et comme d'habitude, j'ai détourné le regard. Ils me mettent mal à l'aise leurs regards à eux tous. Mais lui non, il n'a pas cillé. J'ai senti ses yeux posés sur ma nuque brûlante, traversant ma chemise et ma chair pour découvrir ce que contenait réellement mon cœur. Son regard m'a fait peur, son regard me fait encore peur, c'est pourquoi je cherche à tout prix à l'éviter. Mais il ne se montre pas très coopératif puisque ses pupilles noires ne m'ont pas quitté, scrutant mes moindres faits et gestes. J'ai l'impression que si je croise de nouveau son regard du mien, il pourra y lire mon âme, et cette pensée me terrifie. Foutu Namjoon, s'il n'avait pas été là, ça ferait longtemps que je me serais enfui d'ici et retourné, bien au chaud, bien en sécurité sous ma couette, à roupiller de tout mon saoul tel l'ours grognon qu'il s'amuse à m'appeler. Mais il a fallu qu'il soit là et qu'il me surveille, avec la menace du coup de gueule qu'il pourrait pousser comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Si encore il n'y avait que lui qui me dérangeait, tout se serait passé sans problème. Je l'aurais juste évité de mon mieux, il aurait lâché l'affaire comme il ne manquera pas de le faire, et j'aurais pu m'amuser comme il en a été convenu. Sauf que lui est juste un peu plus gênant que les autres, mais tous les invités sont un problème pour moi. Essayez, vous, d'éviter plus de quarante, cinquante personnes alors qu'elles se cachent absolument partout, en groupe informe sur le dance floor, à discuter au calme sur la terrasse et dans le jardin mal éclairé, dans la salle de bains pour uriner tranquille, dans la cuisine pour piller les bouteilles, ou encore dans les chambres pour faire... Je veux même pas imaginer ce qu'ils font là-dedans ! Toujours est-il que l'endroit le plus sûr de cette foutue baraque est le bar, avec un verre à la main et la tête de celui qui ne veut pas d'emmerdes.

Je n'ai jamais aimé les gens, ou bien les gens ne m'ont jamais aimé, je ne sais pas lequel est le plus juste à dire. De mon souvenir, j'ai toujours été seul, pour mon plus grand bonheur. Les autres ont des attentes, des rêves, des passions, et je finis toujours par les décevoir avec mon train-train pénard et ma vie bien rangée. Il n'y a que Namjoon pour s'intéresser à un type comme moi, mais il n'est pas quelqu'un qu'on pourrait qualifier de normal. Il ne compte pas vraiment, c'est Namjoon quoi. Et depuis qu'il est avec Jimin, c'est-à-dire cinq ans, Dieu ce que le temps passe vite, il y a aussi ce petit ange que je peux qualifier d'ami. Les débuts ont été laborieux pourtant, le rouquin peinant à me tirer des phrases de plus de trois mots et moi me braquant à chacune de ses tentatives d'approches. Mais une fois je l'ai retrouvé, ou plutôt espionné, n'ayons pas peur des mots, en pleurs sur les genoux de Nam, désespérant de ne jamais être à la hauteur de ma petite personne. Jamais personne n'avait voulu être « à ma hauteur » comme il le disait, personne n'avait jamais voulu entrer dans mon monde à ce point et était aussi anéanti de ne pas y parvenir. Son geste m'a ému, et dès le lendemain j'ai partagé mon petit déjeuner à ses côtés. Ça peut paraître un rien, mais pour un sauvage de mon espèce, c'était déjà un gros effort. Et Jimin l'avait apprécié à sa juste valeur, et m'avait remercié d'un de ses sourires éclatants dont il a le secret. Depuis lors, il est entré dans mon cercle très restreint des gens qui comptent. Cela date de quand j'ai squatté chez eux durant plusieurs mois. Depuis leur élan de gentillesse spontanée, on ne manque jamais un vendredi de se faire une soirée télé. Dommage, pour cette année, l'anniversaire de Jimin tombe justement un vendredi. Enfin, dommage pour moi parce qu'en plus de louper mon rendez-vous hebdomadaire, j'ai dû répondre présent à une soirée qui ne m'attirait pas le moins du monde. Mais foi de Yoongi, je ne manque aucun vendredi.