Seize heure

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Pourquoi est-il encore là ? Pourquoi est-il toujours là ? Comme si ce n'était pas assez d'être omniprésent dans ma mémoire, d'apparaître dans mes rêves et même parfois rien que sur le derrière de mes paupières lorsque mes yeux se ferment, il fallait qu'il revienne me hanter en chair et en os. Qu'ai-je fait pour mériter cela cette fois-ci ? Je ne demandais pas quelque chose de très compliqué pourtant, qu'on me fiche tout simplement la paix. Que l'eau qui m'engloutit désormais reste loin. Que la terreur qui tort mes tripes ne soit plus qu'un mauvais souvenir. Que les larmes qui dévalent mes joues ne soient plus pour lui. Mais apparemment le destin, lui, ou toute autre chose absurde en a décidé autrement. Je n'ai pas le droit au bonheur et à la sérénité, je l'ai compris. On me punit de me laisser aller auprès d'Hoseok, on me tourmente pour désirer l'oubli, on ne veut pas que je m'échappe de ce cycle infernal. Je suis piégé dans des souvenirs qui m'obsèdent nuit et jour et la première éclaircie que je m'octroie est aussitôt réduite en cendre. Il aurait mieux fallu pour moi qu'il n'y ait jamais d'espoir, cela aurait été moins douloureux. Car ce cœur qui tambourine contre mes côtes est trop vivace désormais, il a puisé des forces dans les gestes et paroles du roux et ne veut plus se laisser dompter, n'arrive plus à encaisser. Et ça fait mal. Comme au départ.

De nouveaux coups tambourinent contre la porte, suivis d'une voix que je connais dans les moindres détails, et qui me glace les veines. Mes pleurs redoublent, l'eau vicieuse s'infiltre dans les derniers recoins de ma conscience qui restaient lucides, ronronne et se repaît de ma détresse. Je perds peu à peu le semblant de maîtrise que j'avais encore sur mon corps, qui se met à trembler de haut en bas, mais je ne le sens plus. Je suis à part, englouti sous les vagues, submergé. Je flotte dans un océan de noirceur sans aucun repère, reléguant à mes reflexes primaires la charge de mon être. Je pourrais tout aussi bien hurler que personne ne m'entendrait, me débattre que rien ne se passerait. Comme avant, je ne suis plus qu'une poupée de chiffon à ses côtés. La réalité trop douloureuse m'expulse loin d'elle, loin sous la surface, là où elle ne pourra plus m'atteindre. Ne reste plus que le rythme régulier des pulsations qui secouent mon organe vital, faisant courir mon sang au travers de mes veines. Sans cela, je pourrais croire que la faucheuse m'a emmené dans son royaume. Mais même cette délivrance ne m'est pas accordée, mon esprit ne doit pas être encore assez éprouvé à son goût pour qu'on m'en libère. Alors je reste en boule sur le sol rugueux, sans défense. Comme toujours contre lui.

Et j'attends mon heure, celle où il reviendra m'arracher à ma liberté illusoire pour me tourmenter encore et encore, me dévorer le corps de ses mains et me ronger l'esprit de ses mots. J'attends, accroupi, les mains plaquées contre mes oreilles et l'esprit ailleurs. J'attends qu'il vienne finir ce qu'il a commencé, qu'il me brise jusqu'à ce que je ne puisse plus me relever. J'attends qu'on me pousse du gouffre auprès duquel je me tiens, duquel je reste en équilibre précaire depuis deux ans, qu'on me jette au fond du précipice et que j'y reste. J'attends, impuissant, que ma route s'achève.

Pourtant ce n'est pas de ce côté-ci qu'on me bouscule. Ce n'est pas du côté du vide qu'on m'entraîne. La voix que je perçois, les exclamations qui fusent ne sont pas celles que j'attendais. Le choc que j'entends n'est pas contre moi, le râle de douleur ne sort pas de ma bouche. Le vent qui fouettait mon visage ne me menace plus, mes pieds sentent de nouveau la tendresse de l'herbe. L'eau se retire doucement, presque tendrement, me rendant le contrôle de mes articulations ankylosées. Ces dernières me tirent un cri de douleur. Mon dos me lance, mes oreilles trop comprimées me font mal, comme si une bulle d'air y était coincée, ma lèvre saigne à force d'être attaquée par mes incisives, mes ongles griffent mon cuir chevelu, mon visage entier semble être en feu. J'aurais préféré rester ignorant de toutes ces informations, reclus dans mon monde intérieur, en sécurité. Mais mon cœur bat encore à tout rompre, en rythme avec ces frappes contre le bois de ma porte.

« -Yoongi ?! Yoongi ! S'il te plait, ouvre-moi ! »

Je ne peux pas, je suis trop faible pour cela. Mes genoux restent bloqués, ne répondent plus aux ordres qu'envoie mon cerveau. Je suis épuisé, si las de me réveiller une fois encore.

« -Minhyun n'est plus là, Yoongi ouvre-moi !! »

Le retour est toujours plus compliqué. Tant que la tête reste sous l'eau, dans l'ambiance ouatée de mon angoisse, je ne contrôle rien, ne sens rien. C'est lorsque je regagne mon enveloppe charnelle que la douleur apparaît, que le désespoir se forme. Quand je prends conscience de la marque indélébile qu'il laisse sur moi après chaque passage, quand les cicatrices sont ravivées simultanément et me dévorent la peau, c'est à cet instant-là que j'ai mal. Un hoquet sort de ma gorge, semble m'arracher les cordes vocales au passage.

« - Bordel Yoongi, qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qu'il ne va pas ?! Ouvre-moi ou alors je serai obligé de défoncer cette porte. »

Tout mon être me pique, me gratte, me brûle. Je n'en peux plus de cette torture, je n'en peux plus de cette carcasse qui ne recueille que mon dégout. Je n'en peux plus de cette preuve de ma faiblesse que tous les jours de ma putain de vie je dois porter tel un fardeau. Je suis épuisé, et toi Hoseok tu veux encore venir m'aider ? Comment comptes-tu me sauver alors que je ne sais plus me battre ?

Un premier choc sourd ébranle le mur contenant l'entrée, me faisant sursauter. Rien que cela m'arrache un gémissement. Je ne veux pas que tu viennes Hoseok, pas que tu me voies comme cela, que tu me regardes avec tes grands yeux renfermant la pitié et l'inquiétude, que tu me relèves une fois de plus avec tes paroles. Je ne veux pas que tu me voies tel que je le suis en réalité, mort depuis trop longtemps, et que tu te sentes obligé de me réanimer. Je ne veux plus poursuivre pourtant mon esprit se redresse de lui-même, répondant à l'appel de ta voix, vacillant mais debout. Je ne sais que faire, rien n'a de sens.

Un second impact s'opère, défonçant la poignée qui se met à pendre misérablement. La silhouette du roux s'engouffre en même temps dans mon bureau, tournant la tête dans tous les sens, paniqué. Je le sens s'approcher à toute vitesse de moi, s'effondrant à genoux à une dizaine de centimètres.

« - Oh Yoongi... »

Sa voix suinte la compassion que je lui inspire, cette compassion qui me révulse. Quelque chose remue en moi, remonte depuis mes tripes et j'ai à peine le temps de me pencher au-dessus de la poubelle à ma droite avant de dégueuler. Le fluide me brûle l'œsophage et mes larmes redoublent. Je me sens si sale auprès de lui, souillé, indigne de son attention. J'essuie maladroitement mes perles salées, les contours de mes lèvres tout en hoquetant pitoyablement. Je ne sais quelle image je dois renvoyer mais elle ne doit rien avoir de glorieux.

Pourtant il ne dit rien, ne fait aucune remarque désobligeante ou encourageante. Il me tend simplement un mouchoir en papier. A la vue de ce geste pourtant infime, mes pleurs deviennent intarissables. Comme un enfant, je laisse exploser toute ma frustration, ma déception, mon malheur par la plus simple et naturelle des voies alors qu'il tapote tendrement son présent contre ma peau.

« - Désolé, désolé, désolé... je répète inlassablement. »

Mais je ne sais même envers qui sont adressées ces excuses. Hoseok sur lequel je me repose encore une fois, sur lequel je décharge le poids qui m'écrase, qui reste près de moi même dans ce moment pathétique ? Ou moi-même que je n'arrive pas à aider, que je n'arrive pas à abandonner ou continuer, qui est incapable de décider, qui est toujours aussi torturé ?

Je ne sais pas, je ne sais plus. Je veux juste cesser de penser. Alors je pose mon front au creux de son épaule et laisse le sommeil salutaire m'emmener.

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Petit chapitre, et la semaine prochaine c'est pas certain qu'un chapitre arrive (bac de français), je suis désolée

C'est toujours -taesthyk qui corrige, au cas où vous l'oublieriez x)

24h pour se plaire [Sope]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant