Quinze heure

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La porte m'a claqué au nez, envoyant valser mes mèches de cheveux, enfermant l'odeur doucereuse de Yoongi loin de moi, là où je ne pourrai plus l'atteindre et je n'ai pas bronché. Je suis resté à fixer le bois déglingué de ma porte d'appartement sans bouger un seul orteil, tandis que mes pensées se faisaient frénétiques. Et les nœuds du bois ne m'ont apporté aucune réponse. Je suis toujours aussi perdu dans cet amalgame de sensations et de souvenirs, sans trouver une issue à ces chemins entremêlés. Les nôtres ne cessent de se retrouver et de séparer, où chacune de mes erreurs peut être fatale. Le funambule que je suis s'est pris une bourrasque, à trembler, mais n'est pas encore au sol. Il faut juste que je trouve les mots justes, les gestes adéquats. Ceux qui feront que Yoongi reste près de moi, pas parce qu'il y est obligé, mais parce qu'il s'y sent bien. Je veux créer un endroit où il ne redoutera rien, où il pourra oublier. Je dois être présomptueux pour affirmer une telle chose, ou bien fou, mais ce sont les grands rêves qui forment les grandes personnes. Et je voudrais être une de ces personnes pour le brun.

Je sors enfin de ma léthargie inutile et vais m'effondrer sur mon canapé qui, il y a pas si longtemps, nous accueillait tous les deux. Je fourre ma tête entre mes paumes, la compresse comme pour sortir la raison de mon comportement si peu naturel, si étrange de ma caboche incompréhensible. Les regrets grignotent petit à petit mon être, mais je refuse de me laisser submerger. Ce serait mon ultime erreur. Réagir, c'est tout ce qu'il reste à faire. Mais pour cela, il faut comprendre. Lui comme moi. Et je crois le comprendre mieux lui que moi-même.

C'est plutôt évident en même temps qu'il n'allait pas sauter de joie lorsqu'il apprendrait que j'étais au courant de tout, et par la voix de quelqu'un d'autre. C'est en quelque sorte une trahison, un coup de couteau dans le dos que je lui ai infligé, de m'immiscer sans son consentement au travers de ses secrets et de son sombre passé. Tel un cambrioleur, j'ai amassé des informations sur lui en forçant sur une entrée fragile. Pourtant je ne regrette pas. Comme je ne regrette pas que ma langue ait fourché. J'avais besoin de savoir pour l'aider, il avait besoin de savoir pour avoir confiance. Nous sommes quittes.

Non, ce qui est plus délicat à aborder, ce sont mes réactions, ma distance forcée, ma retenue superficielle. J'ai eu l'impression d'être tout sauf moi lors de notre échange, comme si ma vision de lui était passée sous une lentille déformante le transformant en un objet « fragile » dont j'aurais interdiction de m'approcher sous peine de le briser, de dire une parole de travers sous peine de le réduire en cendre. Sauf que Yoongi n'est pas fragile. Il est certainement le plus résistant de nous deux, paradoxalement à cause de ce qui lui a été infligé. Certes, il ne peut avoir de contact avec des gens, il ne pourra jamais avoir une vie de couple soi-disant normale et ses relations amicales resteront désastreuses, mais il avance avec, et arrive à ne rien laisser paraître, même devant moi. Il garde la tête haute, un sourire en coin et le regard impénétrable.

Et moi, moi... J'ai tout simplement foutu ses efforts à la poubelle, ignoré son courage pour le traiter de la façon qu'il fuit à tout prix. Mon malaise l'a atteint aussi fort qu'une claque dans la gueule. Et il me l'a bien rendue. Comme je l'ai dit, nous sommes quittes.

Seulement je reste dans mon impasse. Car lui ne semble pas vouloir revenir vers moi, et même si j'en crève d'envie, je sais que ce n'est pas la bonne chose à faire. Courir à son travail, pour lui dire quoi ? Que je suis désolé d'avoir empiété sa vie privée ? De le considérer comme un oisillon qu'il faudrait continuer à couver ? De ne plus être à l'aise à ses côtés ? Ce serait le comble du ridicule, et je ne veux pas n'être qu'un clown dans son regard. Je vise plus haut.

Il me faut une solution. Je n'arriverai pas à me changer, ni à retourner à ce que j'étais, quand bien même j'y mettrai toute ma bonne volonté. Tout simplement parce que je ne peux plus agir aussi insouciamment, nonchalamment. J'en sais trop, il est trop. Je serai obligé de calculer mes dires, mesurer mes gestes, mais ce n'est pas pour autant que ça devra être aussi visible. Discrètement, sans qu'il ne s'en rende compte, prendre soin de lui.

24h pour se plaire [Sope]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant