8_Le soleil de minuit

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Les murs étaient hauts, bien trop hauts et elle ne savait pas s'il s'agissait d'une impression mais il lui semblait qu'ils ne faisaient que de grandir encore au fur et à mesure qu'elle s'enfonçait dans le couloir du sous-sol. Elle n'avait pas l'habitude de se trouver ici et ne venait, pour ainsi dire, jamais. Oh, c'était vrai qu'on ne lui avait jamais réellement interdit de descendre trainer par là mais on lui avait assez répété qu'il s'agissait d'un endroit pour les grandes personnes, pas pour les enfants. Même si elle ne brisait aucune règle, le sentiment d'interdit qui lui remontait dans les veines restait grisant, en dépit d'un autre, bien plus tenace : celui de la peur. Elle ne pouvait pas le nier, à chaque nouveau pas vers la porte du fond, c'était une série de frisons incertains qui remontaient le long de sa colonne vertébrale et ses jambes qui se mettaient à flageoler dangereusement. Si ça continuait, elle risquait de se casser la figure et se ferrait sévèrement sermonner... Mais, sa curiosité était trop forte, elle était déjà bien trop curieuse pour son jeune âge et sa maman le lui avait assez répété, elle devait être courageuse. Et puis, même si maintenant elle était plus intéressée par l'idée de découvrir ce qu'il se trouvait derrière la porte au fond du couloir, venir ici restait certainement la meilleure idée de cachette qu'elle ait eu pour jouer.

En réalité, elle ne comprenait pas à quoi pouvait servir cette partie du manoir. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'une poignée d'inconnus, tout de noir vêtu et la figure encapuchonnée, y descendait régulièrement pour des raisons encore obscures. Ces hommes masqués...eux aussi lui donnaient la chair de poule, bien plus encore que cet endroit. Elle était intelligente et souvent sa mère lui faisait la lecture, elle avait comme une impression froide de déjà vue lorsqu'elle les apercevait dans le hall d'entrée, du haut de sa cache dans le grand escalier. C'était eux la grande faucheuse qu'elle avait vu dans les livres, elle en était certaine ! Et qu'ils soient aussi nombreux et fréquentent aussi souvent sa maison ne la rassurait pas le moins du monde.

Avancer. Ne pas reculer. Respirer. Un pied après l'autre. Prendre son temps. Continuer de marcher en ignorant le froid qui commençait à lui glacer les membres et l'eau suintante qui s'était mise à couler le long du mur en grosses goutes pour finir par tomber au sol en un bruit désagréable à ses oreilles.

Plock, plock, plock.

Elle frissonnait de peur, de froid et d'anticipation en même temps, c'était plus fort qu'elle, elle en avait conscience et ça aussi ça l'effrayait.

Plock, plock, plock.

Et soudain, elle fut à la porte, alors que quelques secondes au paravant, y parvenir lui semblait impossible. Le temps ne s'écoulait plus ici, comme lui, elle était figée à la même place, à avancer vers une porte qui ne cessait de reculer. Elle reprit sa respiration, mesurant au passage le bois sombre et massif, richement et finement sculpté qui se trouvait devant elle. C'était comme tout le reste du mobilier ici, à l'image des propriétaires des lieux. Elle évoluait dans tellement de luxe qu'elle en avait à peine conscience, mais cette porte, ce décor, ça ne collait pas, pas du tout avec ce couloir sordide. Ca ne collait pas avec eux tout simplement. Doucement, elle se plaça sur la pointe de ses pieds et agrippa fermement la lourde poignée en ferraille, usant de toute sa force pour l'abaisser.

Plock, plock, plock.

Le cri strident qui retentit au même moment la paralysa totalement. Un cri dont chaque moindre seconde était bercé par l'effroi. Un cri désespéré, long, devenu rauque au fur et à mesure qu'il s'éteignait et qui avait autre chose, une note plus sombre, plus noire qu'elle n'aurait su expliquer mais qui faisait dresser les poils de sa nuque.

Si elle avait été une adulte, et non pas une enfant de quatre ans à peine, alors elle aurait comprit. Pire, elle aurait reconnu les maigres morceaux d'une vie s'attachant désespérément à son existence, jusqu'aux derniers instants. De façon plus globale, si elle avait été plus grande, elle aurait sans doute sentit tout le bonheur s'échapper et disparaitre du manoir, de cette cave, pour ne laisser place qu'à l'odeur lourde et putride qui régnait ici, l'odeur de la mort... Sauf...

Hominum revelioOù les histoires vivent. Découvrez maintenant