18 février 1920 - Berlin

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Le froid. C'est le froid qui m'a saisi en premier. C'est à cause de lui que j'ai ouvert les yeux, hier. L'humidité. L'eau, partout, aussi.

J'ai eu l'impression de mourir, glacée et trempée jusqu'aux os. Et ce goût de moisi dans la bouche, rien que d'y repenser, j'en ai à nouveau des nausées.

Il y a eu cette main, alors que mon esprit était aussi secoué que mon corps. Je ne sais pas ce qui m'a pris, mais cette main, tout à coup, est devenue mon unique raison de vivre.

Il ne fallait pas respirer. Surtout pas. Ce simple geste m'aurait coûté la vie, profondément enfoncée dans ce torrent mouillé.

J'ignorais que j'avais autant de force, et pourtant... Lorsqu'on m'a sorti du Landwehrkanal (je ne connaissais pas son nom, c'est ce qu'on m'a dit après), j'ai eu l'impression de naître une seconde fois.

Mes yeux pleuraient, agressés par la lumière du jour et par cette eau dégoûtante.
Autour de moi, des gens se pressaient, parlaient en allemand et je n'ai pas tout de suite compris ce qu'on me disait.

Je n'avais aucun souvenir.

Pourquoi étais-je dans ces eaux ? Où étais-je, et, pire : qui étais-je ?

Quelqu'un m'a tendu un long manteau de fourrure, dont je me suis enveloppée en grelottant. Un petit groupe s'est rapidement formé autour de moi et j'ai eu toutes les peines du monde à me remettre sur mes deux jambes. Ma robe trempée collait à mon corps et j'en éprouvais une honte indicible. Heureusement que la femme qui m'avait gentiment passé son vêtement l'avait acheté long dans ce que je supposais être la mode de l'époque.

Je me suis rendu compte que j'avais perdu une chaussure, aussi. Je ne sais pas pourquoi ce détail m'attrista autant. Toujours est-il que mon sauvetage tumultueux me laissait pantelante, à demi-morte, et sans plus aucun souvenir de rien.

C'était hier, de cela je me souviens parfaitement.

Ensuite, on m'a conduite aux urgences de l'hôpital Élisabeth non loin de là, parce que l'on s'inquiétait pour moi. Une jeune fille, visiblement de bonne famille, sauvée des eaux, ce n'était pas commun. Pourquoi avais-je pris un bain de la sorte ? Tentative de suicide ou chute accidentelle ?

J'ai été incapable de répondre à cette question, comme à toutes les autres. Les médecins n'ont pourtant pas manqué de me presser, tantôt on voulait connaître mon nom, mes origines, mes motivations.

Malheureusement, je n'avais rien à leur offrir. Aucune information aussi infime soit-elle. Non pas que je ne le souhaitais pas, mais, bien trop choquée, je ne parvenais pas moi-même à mettre de l'ordre dans mon esprit. Pour être tout à fait exacte : aucun son ne sortait de ma bouche. Je ne m'exprimais qu'en remuant la tête. Les mots ne venaient plus. J'étais choquée, voilà tout. Et moins je parlais, plus je lisais l'incompréhension sur le visage de mes interlocuteurs.

Mais c'était au-dessus de mes forces.

C'est ainsi que j'ai décidé d'écrire ce journal. Avec une force venue de Dieu sait où, j'ai demandé à ce qu'on m'apporte du papier et un crayon. Le médecin qui m'a examiné (sans surprise, j'ai oublié son nom) a dit que cela pourrait m'aider dans ma thérapie. J'ai eu du mal à comprendre son allemand mais il me semble avoir intégré l'essentiel. Je ne suis probablement pas allemande. On m'a dit que je le parlais bien mais avec un accent, peut-être venu de l'Est. Il est encore trop tôt pour le dire.

Ce sont les seuls mots que j'ai prononcé et ils m'ont arraché la gorge.

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