5 octobre 1920 - Dalldorf

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« Est-ce que tu sais ce qui est arrivé à Raspoutine ? » ais-je demandé ce matin à Marie, prétextant avoir encore des trous de mémoire suite à mon passage dans le Landwehrkanal.

Elle n'a pas l'air de beaucoup l'apprécier.

« Oui. Ce vieux sorcier a été abattu de trois balles et jeté dans la Neva. Dieu m'en soit témoin que c'est une bonne chose pour tout le monde ».

Puis elle s'est signée comme une démente, les yeux fous et ses bras graciles agités de spasmes pieux.

J'ai eu toutes les peines du monde à garder mon sang-froid.

Je suis arrivée dans un futur proche où nous sommes tous morts, assassinés. Quel triste avenir !

Je suis terrifiée à l'idée de rentrer chez moi. A l'heure où j'écris ces mots, les miens sont morts et enterrés, sans exception. Il ne reste plus que moi, dont l'identité est remise en cause par une pléthore de journalistes et de gens du monde. Quel avenir est-ce que je me réserve si je reste ? La vie mais à quel prix ?

Le comportement de mes semblables a changé et je n'ai jamais eu autant envie de retrouver mes sœurs, ma mère et ma si chaleureuse femme de chambre, Pavla.

Je suis presque traitée comme une invitée de prestige. Mais avec modération, tout de même, car un doute sérieux persiste sur ma filiation. On donne donc un peu de crédit à ma version sans pour autant ignorer les versions de ceux qui m'appellent « l'usurpatrice ».

Le Directeur de l'asile veut me rencontrer...

J'ai donc rencontré Monsieur le Directeur. Un homme à qui je n'avais encore jamais été présentée. Un peu vieux, l'air à l'étroit dans son costume et qui fume beaucoup de cigares. J'ai remarqué qu'il a un tic à l'œil droit, qu'il cligne un peu trop souvent. Je sais que j'en aurais rigolé dans un autre contexte. Tatiana dit souvent que je suis moqueuse, mais je n'y peux rien si je trouve de l'amusement dans les petits détails.

Mis a part son tic, il a été assez charmant, m'a expliqué avec embarras que la situation dans laquelle j'ai plongé son établissement est inhabituelle. Il m'a aussi exposé l'agitation dans laquelle sont ses patients depuis qu'une armée de journalistes campe derrière les murs.

Et tout les autres désagréments que je lui cause.

Je mentirais si je disais que je l'ai écouté jusqu'au bout. Tout ce que j'ai retenu, c'est qu'il se pose des questions quant à mon hébergement chez lui. D'autant plus maintenant que j'ai retrouvé mon identité. Cela l'arrange sans doute de me prendre pour une princesse, et lui permettrait de ramener le calme à Dalldorf.

Mais ce qui m'a frappée, moi, c'est l'œuf de Fabergé exposé en évidence sur son bureau.

Il n'a tout simplement rien à faire là et pour cause : c'est l'œuf que Raspoutine m'a donné dans un souterrain du palais Catherine à Tsarskoïe Selo, pour que je puisse rentrer lui dire de quoi son avenir sera fait.

Un œuf aux tons bleu et blanc dans le plus pur style Fabergé, finement travaillé, peint à la main et décoré de feuilles d'or, que je savais pouvoir ouvrir en deux. C'est précisément le contenu de cet œuf qui peut me faire rentrer chez moi, quelques années plus tôt.

Raspoutine a tout prévu avec à la complicité de feu le bijoutier russe. L'ouverture, discrète, ne peut pratiquement pas être décelée par une personne ignorant son existence.

Mais je me souviens de tout, désormais.

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