Annihilation

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Je suis nécrosée, je te jure, à l'intérieur, je le sens, c'est pourri.

Au début j'ai senti du vide, rien d'autre que du vide et puis ça s'est mis à se répandre à l'intérieur de moi, ce vide, ce néant et jusqu'à ce que je ne sois plus rien, que je ne sente plus rien, que je ne sois plus qu'un gouffre béant, un trou noir ; alors j'ai eu besoin de me rempli, de sentir de la vie en moi.

J'ai essayé de parler mais je n'ai rien ressenti et ça a été pareil pendant longtemps ; je sentais toujours rien alors je me suis fait du mal, je me suis coupée autant que j'ai pu mais ça n'a rien donné non plus.

Après ce qu'il s'est passé, c'était comme si je ne pouvais plus rien ressentir au dedans, rien du tout, seulement du vide, rien que du vide.

Et toi et les autres, vous êtes là et la lumière s'éteint et je ne vois plus rien, je ne sens plus rien, je flotte dans un océan de vide, je fais plus rien, je flotte et je me demande si c'est ça ; si c'est ça la mort, de flotter dans les ténèbres et de n'y trouver que des ténèbres et je me demande si c'est ce qu'on ressent et si d'autres l'ont déjà ressenti, toute cette solitude, tout ce vide ; et si au fond il n'y avait que ça pour chacun d'entre nous.

C'est insupportable, insupportable.

Je serai prête à faire n'importe quoi pour que ça cesse ; mais comment est-ce qu'on met fin au vide, à la mort ?

Comment est-ce qu'on arrête d'avoir mal ?

Je te parle mais tout ça c'est que du vent, pas vrai ?

Mon discours est aussi vide que mon corps.

Ça n'a plus aucun intérêt.

Je n'y arriverai pas.

Je ne pourrai jamais me débarrasser de ce vide. Jamais.

Et j'en suis pleinement consciente maintenant.

La seule chose à faire pour arrêter la mort, c'est de mourir.

La seule façon de stopper la mémoire, les souvenirs, c'est de mourir.

   J'en reviens toujours à la mort, je sais.

Parce qu'il ne me reste plus que ça, c'est ma seule issue de secours.

Je n'en peux plus, vraiment plus.

Je te jure, j'ai jamais rien ressenti d'aussi affreux.

C'est comme si toute la douleur des années précédentes, la douleur de ce qu'il m'a fait, de ce qu'ils m'ont fait, me revenait à la figure maintenant.

Et la seule façon qu'a trouvé mon cerveau pour me protéger c'est de me couper du monde, de mes sensations, de la vie.

Et c'est tant mieux.

Parce que je n'ai plus peur de partir maintenant, je ne me sens plus obligée de rester, je suis détachée de toute chose, de toute personne.

Je n'attends plus rien du monde.

Je suis seule, toute seule dans le noir, engluée dans ce vide. 

Je ne veux plus m'en sortir, c'est trop d'efforts, c'est trop douloureux. C'est trop tard.

Tout ce que je veux maintenant, c'est me laisser couler dans cette masse sombre, informe.

Me noyer dans la douleur, une bonne fois pour toutes, et y laisser mon âme et mes tripes.

Je ne veux pas qu'on m'en tire, ce serait pire et je n'en peux déjà plus.

Je sais ce que je dis, je sais ce que je fais, ne pense pas que je parle sous le coup de la fatigue ou de la colère ou de je ne sais quoi.

Je sais ce que je fais.

Je sais ce que ça implique.

Je sais que je vais faire de la peine à des tas de gens.

Mais ça leur passera, ça passe toujours ce genre de tristesse.

Au pire ils m'en voudront, au pire ils crieront que je suis une petite p*te.

Mais tu sais quoi ?

Ils le font déjà, ça, tout le temps.

Tu n'as pas idée de la manière dont ils me regardent.

Ils pensent tous que je suis une p*te, une sal*pe dégueulasse.

Ah ouais, ils s'en donnent à cœur joie.

Et pourtant, je n'ai jamais rien dit, je n'ai jamais rien fait, je n'ai même pas essayé.

Eux ne se sont pas gênés pour m'insulter, se foutre de ma gueule en permanence, pour rejeter Toute la faute sur mes épaules.

D'autres encore ne se sont pas gênés pour me toucher, pour toucher mon corps à moi, pour y laisser des marques bleues et mauves ; pour y faire des choses que personne ne devrait subir.

Je ne suis même pas adulte et pourtant déjà si abimée, fracturée de part et d'autre.

Je ne m'appartiens plus.

Ils ont tout pris, tout.

Et moi, qu'est-ce qu'il me reste ?

La douleur,

                        Le vide,

                                           La mort.

Pourquoi est-ce que moi aussi je n'aurais pas le droit de faire un peu de mal ?

On les laisse faire eux, pas vrai ?

Et puis cette fois, ce sera vraiment de ma faute et vous pourrez continuer à m'en vouloir et à faire comme si de rien n'était ; le problème aura disparu pour de bon.

Personne ne sait ce que ça fait.

Personne ne peut comprendre.

Tu ne sais pas à quel point j'ai mal ; tu n'as pas le droit de m'obliger à rester sous prétexte que ça te ferait de la peine.

Parce que ma peine à moi elle ne s'éteindra jamais.

Parce que pour une fois je vais être égoïste et je vais faire passer ma douleur avant la tienne ; je te dis tout, histoire que ce soit bien clair.

Ça fait tellement de temps que je me tais. Tellement de temps que je garde toute la douleur et le vide en moi pour ne pas que ça te touche.

Mais je m'en fiche maintenant, je peux te parler crûment parce que ça ne me fait plus rien.

Je te dis sans cesse que je regrette parce que c'est ce que tu veux entendre, mais en réalité, c'est quand j'ai voulu m'éteindre, que j'ai vu la lumière ;

Elle est revenue à ce moment-là ; la solution était devant mes yeux, mais je ne l'ai pas vu elle directement, j'ai vu une lumière, une lumière dans le noir ; elle était la lumière qui sauve de l'oubli alors je l'ai touchée parce qu'il fallait que je sente, n'importe quoi, mais que je sente.

Ça n'a pas duré, à peine la tête sortie du néant, on m'y replongeait de plus belle.

Mais bon Dieu, je suis quand même contente de l'avoir fait parce que pendant un temps ça a marché ; oui mon Dieu, ça a marché.

J'ai senti toutes mes sensations revenir, j'ai senti de la honte, j'ai senti de la tristesse, j'ai senti de la peur, toute cette peur que j'avais au ventre à l'idée de supporter toute cette merde.

Je suis désolée ;

Il faut que je le fasse parce qu'il n'y a que ça pour me protéger du néant, même la honte, cette putain de honte qui me tient aux tripes, je préfère encore ressentir ça un instant que cet horrible vide sans aucune lumière.

C'est fou, je sais, de devoir mourir pour ressentir.

Mais je dois partir.

Je suis désolée.

Je dois partir.

Adieux à l'Univers : À la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant