L'océan veut s'échapper

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J'ai dû attendre de me retrouver seule, au milieu de la nuit, pour pouvoir pleurer. J'ai attendu toute la journée, j'ai passé tout ce temps assise à côté de mes parents qui agissaient comme si de rien n'était. 

Je retiens des litres et des litres d'eau depuis si longtemps, que j'ai peur que le barrage ne cède et que les vagues engloutissent tout sur leur passage.

Il a menti à tout le monde, Il a essayé de noyer un peu plus mon cœur déjà submergé. Il se rapproche lentement, menaçant le barrage qui empêche l'océan d'engloutir mon cerveau entièrement.

  Alors il a fallu que j'y retourne, que je retourne leur raconter comment l'eau s'est insinuée à travers tout mon corps.

Là-bas, on m'a posé des questions insupportables, qui ravivaient des souvenirs atroces, des choses qui se tenaient à la surface de l'eau, prêtes à jaillir à tout moment. J'ai dû prononcer des mots qui ont entaillé ma gorge au passage, des mots qui nageaient dans les profondeurs de mon esprit.

 Mais je n'ai pas pleuré, je suis restée de marbre, parce que je savais que si je laissais une seule goutte couler, c'était tout un océan qui se déverserait. 

  J'aurais aimé que les choses s'arrêtent là, que mon barrage ne soit pas plus endommagé, que la tempête cesse et que les vagues finissent par se calmer. 

Mais ma famille n'avait pas réalisé à quel point l'orage était violent et la digue fragile, ils n'avaient pas conscience de son besoin d'être soutenue, d'être réparée.

Ils se sont d'abord murés dans le silence.

 Ma mère ne pouvait même plus me regarder, elle n'a pas vu que je faisais naufrage. 

Mon père ne m'a plus adressé la parole, il fallait fuir devant la tempête. 

 Ma sœur a préféré m'éviter parce qu'elle ne pouvait pas me sortir de l'eau.

 Alors je suis seule au milieu du chaos qui s'est installé en moi, autour de moi, le chaos que j'ai causé. 

Ma mère a bien sûr fini par m'adresser la parole, seulement, chaque mot qu'elle prononçait m'enfonçait en peu plus dans les profondeurs de l'océan. J'ai compris à quel point elle doutait de l'origine de cette quantité d'eau en moi. Elle a répété plusieurs fois qu'Il ne méritait pas ça, que je ne pouvais pas lui faire ça à Lui, que mon océan devait m'engloutir toute seule. Chaque reproche qu'elle exprimait attisait la violence de l'orage qui menaçait le barrage. 

Elle veut que j'arrête de remuer l'eau, que je l'oublie, parce que ça déborde trop sur les autres.

Je suis Désolée.

 Désolée. 

Désolée.

 Alors j'ai attendu, longtemps, j'ai retenu autant d'eau que je pouvais et je n'ai rien dit, je n'ai pas pleuré ; pourtant, mon barrage était fissuré et l'océan voulait s'échapper.

J'ai attendu que la nuit m'enveloppe et vienne me réconforter, qu'elle m'autorise enfin à laisser couler ces vagues qui m'étouffaient.    


Je ne peux plus retenir mon souffle, je suis en apnée depuis bien trop longtemps, la tempête fait rage et l'océan s'est répandu dans tout mon corps, il a englouti mon âme. Le barrage ne tient plus, on ne pourra jamais le réparer. Les cordes de mon cœur sont trop abîmées, je fais naufrage, je vais couler. Je suis seule au milieu de l'eau, et je n'ai plus la force de lutter contre les vagues qui me submergent. 

Quand je pleure, mes larmes ont le goût de la mer.

Quand je pleure, mes larmes ont le goût de mon cœur.

Adieux à l'Univers : À la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant