Tout est flou.
J'ai l'impression de ne plus rien y voir.
Me revoilà dans ce flou.
Et pourtant la dernière fois n'est pas si lointaine.
Je suis dans le même état qu'il y a deux mois.
Perdue, sans air pour respirer, sans rien pour me ramener.
C'est un peu comme dormir tout en continuant de bouger.
Je n'enregistre rien ; je n'entends ou ne vois rien.
Je n'ai aucune envie ; aucun désir, je dors.
J'ai pas envie de parler, j'y arrive pas.
Je suis dans un cauchemar constant.
Les images arrivent à la chaîne, je ne vois rien d'autre.
Les pensées frappent mon crâne, je n'entends rien d'autre.
Je ne suis plus là.
Je ne suis pas en cours au milieu des autres,
Je ne suis pas chez moi avec ma famille.
Je suis loin, loin dans le passé,
je suis dans un autre présent, un présent qui n'a pas de futur.
Je ne ressens rien.
Mon corps est engourdi, les coups le marquent et les lames le transpercent sans qu'il ne réagisse.
Ma poitrine est creuse, mon cœur s'est éteint.
Je ne vis plus.
Tout est flou.
Je les vois crier et s'énerver, le monde semble agité ; mais ils sont trop loin, je n'entends rien.
Il fait si sombre ici, je déteste ça.
Je déteste la coquille vide qui me sert de corps.
Je déteste le monde,
Je déteste la vie.
À chaque fois c'est la même histoire.
Je sombre, encore et encore, jusqu'à toucher le fond, et ça empire à chaque nouvelle rechute.
Qu'est-ce que je fais encore là ?
C'était si douloureux la dernière fois que j'ai essayé de me tuer ;
Comment ce sera ce coup-ci ?
Je vais pas attendre que la nature fasse le boulot, sinon j'en ai pour deux mois de plus ; et je supporterai pas deux mois dans cet état.
Ça a duré quatre jours l'autre fois, parce que j'y ai mis un terme moi-même (j'ai essayé) ; quatre jours et j'étais déjà au bout du rouleau.
Imagine deux mois.
Ils me détestent tous encore ; quand je suis revenue à moi l'autre jour, ils me l'ont fait payer, ils m'ont fait regretter le flou. Ils ont dit des choses tellement blessantes, tellement ignobles, qu'ils m'ont fait regretter le vide, le flou, la mort.
Mais je ne suis plus là maintenant.
Et le seul élément de leur présent qui continue de me torturer en quelque sorte, c'est le fait qu'on soit en avril.
Avril.
Je déteste le mois d'avril, j'ai jamais pu le surpasser.
Le mois d'avril c'est l'anniversaire de mon frère.
Rien que de l'écrire j'ai la gorge qui serre.
Ça veut dire qu'il va être là.
Ça veut dire qu'on ne me laissera pas le choix.
C'est tout ce qu'il reste du vrai monde dans mon cerveau ;
le mois d'avril.
Le mois des dîners en famille, des cris, des insultes, des regards noirs, des menaces.
J'ai beau être dans le flou, j'ai beau ne rien y voir, je sais que ça arrive, je sais que ça s'approche à pas de géant ; ça fait déjà mal, tellement mal que je sais que je ne le supporterai pas.
Le flou c'est pas une protection, c'est juste mon cerveau qui est en surchauffe, tellement occupé qu'il faut qu'il fasse un choix entre la réalité et le reste ; et dans ces moments-là, la réalité ne l'emporte quasiment jamais.
Je ne ressens pas tout de suite les choses autour de moi, je ne les enregistre pas vraiment, je ne les comprends pas sur le coup.
Mais à chaque fois que je sombre, la plupart des mots, des actes de la fois précédente, me reviennent à la figure par flashs.
La réalité ne me blesse pas immédiatement, c'est l'après-coup qui est terrible.
Et cette-fois, si je laisse passer, la douleur sera insurmontable ; pire qu'elle ne l'est déjà.
Je ne suis plus là, et je ne veux plus jamais revenir.
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Adieux à l'Univers : À la dérive
PoetryElle n'a plus les mots, elle se perd, elle disjoncte, elle part complètement à la dérive. Elle ne mange plus, ne pense plus, ne respire plus. Que pourrait-elle bien écrire ? Collection Adieux à l'Univers : partie 4 / Période Actuelle