Parlez, c'est tout

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Donc, j'ai été agressée.

C'est étrange d'écrire ces mots, presque douloureux. Je n'ai pas pu le prononcer à voix haute, pas encore, j'ai trouvé des centaines de synonymes, d'euphémismes, n'importe quoi qui puisse m'éviter de prononcer ce mot. La douleur est encore trop vive, la plaie est toujours béante, elle refuse de cicatriser.

On se dit toujours que ça n'arrive qu'aux autres, que nous, on est à l'abri, et que dans le pire des cas, on saura réagir.

Mais on a tort.

Ça peut nous tomber dessus n'importe quand, n'importe où ; dans une rue qu'on connaît bien, en sortant du lycée...

Et là vous vous demandez pourquoi j'écris tout ça et surtout pourquoi je le partage ici ;

Parfois, témoigner de ce qu'on a vécu, en parler, ça permet d'atténuer la douleur, même si ça ne fonctionne qu'un court instant, même si on sait que ça n'efface rien.

Et puis je sais pas, je me dis que ça peut aider certains et faire en sorte que ça n'arrive pas à d'autres.

Pourquoi aujourd'hui, me direz-vous, puisque ces événements se sont déroulés au mois de novembre ; tout est encore très vif dans mes pensées, ça a encore des répercussions sur ma vie quotidienne. C'est quelque chose de très tabou chez moi, il ne faut pas en parler, il ne faut pas y faire allusion, c'est un sujet qui fâche et si jamais j'essaye d'en discuter, je peux être sûre que ça se terminera en dispute, en reproches ou pire.

Ça risque d'être long, alors, si tu t'en fiches, si ça te met mal à l'aise ou simplement si tu penses que ça ne te regarde pas, passe ton chemin, change de chapitre.

Ce jour-là Je ne les ai pas entendu arriver.

Je marchais avec mes écouteurs dans les oreilles, simplement, comme plus de la moitié des élèves du lycée.

J'avais déjà eu des petites embrouilles avec des élèves d'un autre lycée, rien de bien méchant, mais suffisamment angoissant pour me pousser à emprunter des rues différentes de celles des autres.

Cette rue-là est très étroite et peu occupée en fin de matinée.

Il n'y avait personne et je croyais être tranquille.

Et puis quelqu'un m'a poussée contre un mur.

J'ai été surprise évidemment, par réflexe, j'ai essayé de le repousser mais il a attrapé mes mains et les a maintenues dans mon dos ; j'ai à peine eu le temps de voir qu'ils étaient quatre avant de me perdre complètement.

Je remuais dans tous les sens.

L'un d'eux s'est approché et a glissé ses mains sur ma poitrine puis sous mon tee-shirt.

Je ne les ai pas regardés, je n'ai rien dit, même pas bougé, j'étais complètement pétrifiée.

La peur me brûlait la poitrine, honnêtement, j'ai cru que j'allais mourir.

Dans des moments comme ceux-là, la peur est si forte, que la seule solution pour survivre, c'est de se déconnecter, de s'échapper complètement, de ne plus être l'objet mais le spectateur.

Je le voyais me tripoter ; je sentais l'autre derrière moi qui se collait de plus en plus et je les entendais tous rire, c'était répugnant, ils me dégoûtaient, je me dégoûtais mais je ne bougeais pas.

Je ne sais pas ce que faisaient les deux autres, je ne sais pas s'ils se sont approchés aussi.

Je me suis réveillée après que l'un d'eux ait glissé ses mains dans mon pantalon.

Ils riaient toujours, c'était intenable.

Je pleurais, sans m'en rendre compte, je pleurais depuis le début ; et puis c'était trop insupportable, je me suis mise à crier vraiment, vraiment fort. Ils ont fait un pas en arrière, je crois qu'ils ont dit quelque chose mais je n'entendais plus rien, je ne voyais plus rien. Ils m'ont frappée une première fois pour que je me taise, puis une deuxième, assez fort pour me faire tomber.

Je crois qu'ils riaient encore, comme des gens complètement stones qui n'ont même pas conscience de ce qu'ils font.

Je sais pas ce qu'ils foutaient mais j'ai eu le temps d'agripper mon sac qui traînait par terre depuis qu'ils m'avaient attrapée, et de courir ; de courir le plus vite possible, sans me retourner.

Je ne sais pas comment j'ai pu arriver à destination, je n'ai aucun souvenir du trajet.

Les personnes qui m'ont récupérée, ont pris soin de moi et se sont chargées de prévenir mes parents.

À ce moment-là, j'étais incapable de dire quoi que ce soit.

J'étais sous le choc, complètement paumée ; mais ils ont vite compris. Mon nez saignait, j'avais la lèvre fendue et de beaux hématomes sur le nez, la tempe et la joue gauche.

Ma mère s'est pointée un moment plus tard, elle ne m'a pas adressé un mot, elle a récupéré mes affaires et puis on est parties.

On n'en a jamais vraiment parlé depuis, j'ai essayé mais elle se braque à chaque fois. Alors personne ne dit rien et je n'ai pas le droit d'en parler.

Tout le monde fait comme si de rien n'était.

Alors qu'en réalité c'est toujours là, au fond de moi et ça ressurgit sans prévenir.

Ce genre de comportement me donne l'impression d'avoir fait quelque chose de mal, j'ai l'impression que c'est de ma faute, que j'aurais pu éviter ce qu'il s'est passé.

Aujourd'hui encore, j'entends leurs rires, j'ai peur de marcher dans la rue, j'ai peur de la foule et j'ai peur du silence ; prendre le bus est une véritable épreuve ; je me méfie de tout le monde, je me sens seule, tout le temps ; le contact physique m'est insupportable... La liste est longue mais je dois me faire, faire comme si de rien n'était. Ça me rend folle, parfois j'ai l'impression que ce n'est pas réel.

Et peut-être que j'ai eu besoin de partager ça aujourd'hui pour me rassurer un petit peu, pour me prouver que tout ça est bien arrivé, je crois qu'il est important d'en parler.

Je veux pas de pitié, ne m'envoyez pas de message comme « c'est horrible...bla-bla-bla » ça n'a aucun intérêt ; ce que vous devez retenir de tout ça, c'est qu'on n'est jamais à l'abri, qu'il faut se méfier, vraiment, et s'il vous plaît, si vous avez vécu/vivez quelque chose de ce genre, parlez, parlez à n'importe qui, ne faites pas la même erreur que moi ; ça fait beaucoup trop mal de se taire, c'est comme se retrouver tout seul au milieu d'une mare de souvenirs douloureux.

Parlez, c'est tout.


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Quand j'y repense, le fait d'avoir pu aller porter plainte assez rapidement, d'avoir pu recevoir de l'aide presque immédiatement, ça m'a réellement permis d'aller mieux.

Je ne vais pas vous dire que je n'y pense jamais ou que je n'ai pas de séquelles de cet événement mais je pense que si j'avais gardé tout ça pour moi, ça irait bien plus mal aujourd'hui.

Adieux à l'Univers : À la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant