- Maman n'est plus. Elle vient de nous quitter pour de bon, m'annonça papa.
Je m'étais accouru quand j'avais entendu les hurlements de ma tante Fama. Je l'avais trouvée qui s'arrachait déjà les cheveux. Papa me fit savoir la nouvelle avant même que je ne prononce mot. À la seconde qui suit, la vue devint floue et je me perdis dans des nuages aussi sombres que les ténèbres. De minuscules lumières scintillaient sensiblement, un silence total bourdonnant dans mes oreilles. Je me sentis immobile et intact. Rien ne vivait dans ce monde qui m'entourait. Le silence y régnait. Un bruit lugubre me parvenait parfois, et de petites étincelles traversaient et virevoltaient çà et là.
Je me rendis compte que je m'étais évanoui. Mon père et mon oncle Mamady me firent revenir à la conscience. Mon esprit chercha pendant une bonne minute ce qui s'était passé et ce qui m'était arrivé. Il était sans issue. Ils m'avaient allongé sur le lit mouillé à l'endroit où j'avais posé ma tête. Ma respiration revenait à la normale et le souvenir. Ce n'était plus une seule voix, celle de Tante Fama, qui criait, mais plutôt une voix plurielle. Et je me rappelai incontinent de la dernière phrase de papa.
Maman n'est plus. Elle vient de nous quitter pour de bon.
Non, encore non, vous dis-je. C'était le plus gros mensonge que je venais d'entendre de toute ma vie.
Maman allait de mieux en mieux. Me disait papa. Cela n'avait rien à voir avec la mort, mon Dieu. Même si c'était vrai, elle n'avait qu'à renoncer à ce jeu et revenir à la maison. J'avais beaucoup de choses à lui dire. Et elle devait m'écouter finir ce dont j'avais à lui confier. Je ne la pardonnerai jamais, jamais au plus grand jamais, de m'avoir trahi ainsi. Il me fallait la revoir encore une fois, même si ce serait pour la dernière fois. Dieu devrait m'aviser d'abord avant d'agir ainsi.
Non, encore non. Dieu, dites-moi que rien de tout cela n'était vrai et que papa s'était trompé, que je rêvais et que maman allait de mieux en mieux. Elle devait lire ma lettre, ou bien m'écouter lui raconter des histoires fabuleuses et la rendre heureuse au moins une fois dans ma vie, ou encore et encore.
Mon esprit chercha, en vain, à me convaincre que cela était bien faux. Il lâcha prise, mes larmes m'échappant à une fréquence torrentielle. Ma surface labiale tremblotait, les dents chevrotantes, ma motricité au comble de la paralysie. Une forte douleur névralgique m'assomma dans la discrétion la plus profonde. Je languis d'espoir. Les cris prirent de l'ampleur dans la maison. Les voisins s'y joignirent. Je me noyais dans mes larmes, mon cœur sur le point de céder, la gorge asséchée. Du sang gisait : ma langue saignait à force de la coincer entre mes dents. Je ne m'en rendais compte. La douleur était moins profonde que celle de mon cœur ; la respiration à la fréquence saccadée.
Quelqu'un se jeta sur moi, cria de toutes ses forces, s'agrippant sur mes épaules. Ses ongles s'enfonçaient dans ma peau.
C'était ma jumelle Diary. Elle était partie chez grand-mère, du côté de maman, qui habitait à quelques mètres de chez nous. Je ne sus comment elle apprit la nouvelle. Elle devait sûrement entendre les premiers cris de Tante Fama et s'était accourue. Que sais-je ? Elle m'étreignit par le cou en sanglotant affreusement ; néanmoins, je la laissais faire, ma circulation sanguine s'était quasi stagnée.Maman n'est plus. Elle vient de nous quitter pour de bon.
La maison se remplissait du monde ; je ne le voyais pas, mais les pas et les voix en disaient bien clair. Diary s'était toujours accrochée à mon cou, on essaya de nous calmer, en vain. Je n'avais pas bougé d'un iota pendant presque une demi-heure. Étais-je parti pour de bon, moi aussi ? Je ne savais. Je suais atrocement.
Les obsèques étaient prévues le lendemain même.
Il m'était difficile de fermer l'œil cette nuit, l'esprit trop occupé à penser à notre chère maman. Les dernières images me revinrent, nos dernières paroles qu'on s'était échangé ; je ne savais plus c'était quoi exactement. Son ombre ne m'avait pas encore quitté, il me confia ses vœux et répartit. Le vide s'imposa, le vrai manque prit place ; l'affection fit ses dernières recommandations, le regard languissant. J'aurais dû être à sa place, je n'ai servi au monde que l'encombrer davantage de vices. Maman était une bâtisseuse, elle serait encore utile.
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Ma vie en 24 heures
Historical FictionUn jour suffit pour construire ou détruire toute sa vie. Un seul jour suffit pour éprouver bonheur et malheur à la fois. En 24 heures, vous en conviendrai avec moi : vous allez à la fois m'aimer, me détester, rire et avoir pitié de moi...