J'avais subitement pris le mors aux dents. Mille injures me passaient dans la tête sans que je pusse en prononcer une de ma propre langue. Il faisait chaud et froid en même temps dans la pièce, car je voyais rouge. Tristesse et furie s'entrechoquèrent sous le tumulte de la surprise ô combien compromettante. Je ne savais pas quel parti prendre entre rigoler et pleurer, mais les deux se produisirent à la fois sans que je ne le voulusse ni ne m'en rendisse compte. Il ne s'agissait pas d'un simple bout de papier qu'on venait d'abimer, mais une vie inexprimable et invisible à l'œil nu, une affection imagée qu'on venait de déchirer, et ce fut, pour moi, un crime à mes yeux que je ne saurais laisser impuni. Une prompte vengeance était inévitable.
Ma jumelle Diary en était loin coupable, encore moins Mariétou. Il était, sans conteste l'œuvre de mon oncle Mamady, lui seul aurait cette liberté satanique de me causer tant de malheurs et de me mettre, tout le temps, dans tous mes états. Mariétou et Diary – qui venait d'arriver, étant sortie – m'appelaient à tour de rôle pour le déjeuner. Aucune réponse de ma part, car ne pouvant pas sortir un seul son de ma bouche, suant atrocement et mon cœur battant la chamade sous l'emprise de la furie.- Laissez-le ! Il vous entend très bien. Ses copines vont lui donner à manger après.
Mon oncle Mamady venait de parler, brisant ainsi le silence qui m'avait glacé. Je sortis de la chambre et me dirigeai vers la cuisine sans même les regarder, ni les répondre. Je saisis la première arme blanche qui s'offrait à mes yeux – c'était un petit couteau d'une fine lame dont s'était, sans doute, servie Mariétou pour trancher les oignons. Il n'y avait pas une seconde à perdre : je me précipitai et me ruai sur lui, en lui mordant le cou avant de lui planter, incontinent, le couteau à la cuisse droite. Le sang jaillit à la même seconde sur mes mains criminelles.
- Haaaaaaaaaaa !!! s'écria-t-il.
S'en suivirent les cris de Diary et de Mariétou, pétrifiées par la scène sanglante qui venait de se produire sous leur regard impuissant. L'action était passée en un clin d'œil et personne, ni Mariétou, ni Diary, ni mon oncle, ni moi-même peut-être, ne s'y attendait. Mon oncle criait de toutes ses forces, tenta, en vain, de retirer le couteau et tenant sa jambe d'où le sang giclait à forte hémorragie. Il parvint, par contre, à se débarrasser cahin-caha de l'arme. Mariétou s'était emparée d'un morceau dont elle s'était servie pour bander la blessure afin d'arrêter l'écoulement du sang. Le coup ne l'avait pas tué, mais il s'en était fallu d'un cheveu. J'étais resté debout devant lui à cet instant sans même feindre de secourir. Ma jumelle Diary était restée badée et tremblotait gravement, ne sachant pas comment aider Mariétou.
Je me contentais de retourner dans ma chambre, de ramasser tous mes affaires nécessaires, ainsi que les bouts de papier des photos sabotées. Le tout mis dans mon sac à dos, ainsi que quelques habits légers. Quelques de mes romans tels que L'Assommoir de Zola, L'Avare et Le Malade Imaginaire de Molière, Les Bouts de Bois de Dieu d'Ousmane Sembene, ainsi que mon cahier de cours et mon ordinateur portable. Je ne pouvais pas partir quelque part sans avoir avec moi, au moins un seul roman. Sans oublier mon uniforme Bleu-Blanc. Le sac était assez spacieux pour contenir autant de choses nécessaires que je souhaitais emmener avec moi. Il n'est pas nécessaire, alors, de vous dire que j'avais décidé de quitter cette maison hantée, emplie de jalousie et de haine. Il fallait partir, loin, libérer le diable qui m'abritait et qui commettait des crimes, se servant de mon infortunée personne.- Salim, où vas-tu ? me demanda Mariétou, tout en pleur et me voyant les dépasser avec mon sac à dos rempli.
Je n'avais même pas daigné répondre, quittant ainsi la demeure sans un mot de plus. J'étais parti, sans destination fixée en amont. Ce qui était important, en ce moment, était de partir loin, dans un horizon inconnu. La police ne tarderait pas à être à mes trousses, et rien qu'à y penser, j'avais envie de me livrer moi-même à elle "dignement". Les voisins ne tarderaient pas non plus à être alertés des cris et de s'apercevoir de l'odieux acte que Salim venait de commettre. Le climat du dehors me paraissait inhabituel, le soleil criait à la malédiction de ma personne, à la condamnation, au bannissement, à la récrimination. Je le sentis. Je le souffrais. Autant de mal que se comble mon âme ! Mon malheur, et je m'en rendis compte, ne venait pas totalement des autres, mais de moi-même. La chaleur incandescente se donnait du spectacle telle une fournaise ardente. Le sol asséché. L'air quasiment irrespirable. À cet instant où j'étais perdu dans mes pensées profondes, je reçus un appel téléphonique de la part de Sophie. Mais je ne pouvais pas décrocher, je n'en avais pas le cœur serein. Le téléphone sonna à trois reprises, en vain.
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Ma vie en 24 heures
Historical FictionUn jour suffit pour construire ou détruire toute sa vie. Un seul jour suffit pour éprouver bonheur et malheur à la fois. En 24 heures, vous en conviendrai avec moi : vous allez à la fois m'aimer, me détester, rire et avoir pitié de moi...