Je me mordais la langue pour avoir le cœur net que je n'étais pas dans des illusions nocturnes, qu'il ne s'agissait pas d'un rêve. Il n'en était rien. Il fallait s'attendre à une telle déception, les choses étaient d'une facilité inquiétante - très beau pour se réaliser ainsi et sans le moindre obstacle. Toutefois, le retour de mon oncle Mamady n'y était pas aussi blanc que le neige. Je l'abhorrais et une panoplie de raisons pouvaient l'expliquer.
Mon père s'était si gratuitement laissé hypnotiser et influencer sans se douter d'une éventuelle haine. Rien ne saurait se justifier comme une raison tangible, rien. Les promesses devenaient affreuses et sans âme saine. Elles sont laïques car leur croyance n'était que chimère et fausseté. Quoi qu'il en soit, elles peuvent être venimeuses et mortelles ; elles trahissent plus qu'elles ne redonnent espoir.
- Mais Papa, pourquoi ? lui demandais-je, quelques secondes après, sous le choc.
- Non, tu ne peux pas partir avec Saly. Il y a ta tante Astou de Louga qui voudrait que tu viennes séjourner chez elle pendant les vacances. Et je ne peux pas lui refuser ça et te laisser partir avec une inconnue.
- Mais Papa, toi aussi, pourquoi attendre au dernier moment... Saly n'est pas une inconnue, c'est mon amie. Et ce sont ses parents même qui m'ont invité à prendre part à ce voyage avec elle, je ne vois rien d'ignoble dans tout ça...
- Tu ne pars pas, et ne je vais pas me réitérer. Je vais appeler M. Le Maire et lui dire moi-même. Il faut savoir que la famille vient avant tout. Voilà. Prépare-toi, vous allez partir, Diary et toi, chez ta tante Astou à Louga, semaine prochaine. Et depuis quand tu vois une amitié entre fille et garçon ? Je ne vais pas revenir sur mes dires. Et ne me pousse pas à gâcher tes vacances, voilà.
Et il ressortit, laissant derrière lui une âme quasi sans vie qui abritait en moi. Ma personne en était-on ne peut plus abattue et courroucée. Je ne lui en voulais pas, ce n'était pas son œuvre cette décision. Sa nature était outre que cela ; la créature endiablée avait réussi sa compromettante ruse.
Et depuis quand tu vois une amitié entre fille et garçon ?
Cette fausse idée n'était pas de lui et il était sans conteste sûr que mon oncle Mamady y était pour quelque chose. Il ne me parlait que pour me réprimander ou me crier dessus, mais il trouvait d'autres moyens pour obstruer ma bonne haleine. J'eus beaucoup de craintes à son retour de Thiès car mon instinct avait prévu ce sale tour qu'il allait encore me jouer. Ennemi n'est pas aussi nuisible qu'un parent qui déteste à cœur ouvert.
Il faut savoir que la famille vient avant tout.
Balivernes !
Pourtant Saly était venue me sauver avant la famille ; elle me proposa de visiter les États-Unis, avant la famille ; elle m'avait redonné l'espoir avant la famille ; elle sacrifia son temps pour m'assister moralement après mon accident avec mon ami Karim, et avant la famille. Dire la famille avant tout était la chose la plus absurde et infondée que je n'ai jamais entendue.L'amour et l'affection ne connaissent nullement la couleur ou le parfum des êtres qui nous sont légalement proches. Qu'importe le lien de parenté qui nous maintient dans l'asservissement, ce que tu représentes de bien pour moi me suffit largement. Papa n'avait pas compris cela de moi, et j'étais incapable de lui faire savoir ma position par rapport à cette notion de famille.
Notre mal est parfois d'une source si proche qu'on ne puisse l'imaginer. Tant de faux espoirs m'accablent, la compassion déchiquetée en menu morceaux, le chagrin qui submerge. On sent qu'on va haïr, haïr tout de nous. En qui nous fier alors si ceux qui devraient nous faire jouir l'allégresse sont les auteurs de nos douleurs invisibles et perpétuelles ? Nos légaux protecteurs nous offensent, nous rechignons sans justice faite. Justice aveugle et impotente. Justice qui nous incrimine dans une position où nous faisons justice par nous-même. Voilà qu'une injustice justifiée se manifeste. Elle bannit le courage du faible, se soumet à la tyrannie de l'hypocrisie et des intérêts mondains.
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Ma vie en 24 heures
Historical FictionUn jour suffit pour construire ou détruire toute sa vie. Un seul jour suffit pour éprouver bonheur et malheur à la fois. En 24 heures, vous en conviendrai avec moi : vous allez à la fois m'aimer, me détester, rire et avoir pitié de moi...