Les semaines ont passé.
Presque rien n'a changé.
On se retrouve toujours à toutes les pauses devant le lycée, à regarder la ville se polluer, les trottoirs crier, les motos pétarader. On se tient droits, sans se toucher, lui pour fumer, moi pour le regarder. Et il y a ici beaucoup trop de rimes en é pour que je n'ajoute pas « et pour s'aimer ». Mais on ne parle jamais de s'embrasser. On n'en a pas besoin, car on sait que tous les baisers, ils sont là, tout au fond de nos cœurs. Et si parfois on l'évoque, c'est juste avec les yeux.
-!C'était magnifique non ? - Tellement beau... - Et si on recommençait ? - Tu viens chez moi, juste après ?
Notre chose, qui vit dans nos cœurs, on la laisse cachée. Mais vous savez, c'est juste pour la protéger. Les gens nous prendraient pour des fous s'ils voyaient le genre de chose qui habite dans nos poitrines.
Mais ça ne me déplaît pas. C'est encore plus beau l'amour, quand c'est un secret. Il ne disparaît pas, ça non. Il est dans nos demi sourires dans les couloirs, dans nos caresses volées au bas des escaliers, dans nos regards discrets en cours de biologie, dans nos sous-entendus aussi, parfois, lorsque l'on discute avec nos amis, et que l'on hausse un petit peu la voix, juste pour s'entendre.
Le monde continue de tourner, les gens s'affolent toujours autour de nous, mais nous deux, on est là, immobiles, comme dans une autre dimension. Et s'ils s'entreposent tous entre nos regards dans les couloirs, ils ne le savent pas, et alors c'est un peu comme si on était que tous les deux. Témoins et gardiens d'un secret dont ils ignoreront toujours la beauté. On est un peu des privilégiés, c'est vrai.

On se retrouve, le soir, au coin du lycée. On parle de tout, de n'importe quoi, enfin, surtout de tout. De nos rêves, nos passions, nos espoirs, nos craintes. On rêve d'une maison, on invente des noms à nos futurs enfants. Parce que ça durera, c'est sûr. La chose qui bat sans cesse un peu plus vite dans nos poitrines ne connaît pas le temps. C'est un petit bout d'infini tout juste tombé du ciel.

Et puis dans la nuit qui grimpe peu à peu le long de nos chevilles, on s'embrasse, aussi, parfois. Il y a un peu de gens, à cette heure-là, mais ce n'est pas grave. Ils ne peuvent pas soupçonner, avec un simple baiser, à quel point elle est monumentale la chose qui vit en nous. Ils ne peuvent pas savoir, alors ils ne disent rien. Ses doigts se glissent contre ma paume. Comme à chaque fois. Sa chaleur peu à peu m'irradie, tendrement. Et pour une fois je ne pense même pas aux transferts de chaleur et d'énergie d'un corps chaud vers un corps froid jusqu'à équité. Non non, je ne pense qu'à sa main, sa peau, mon bras, la chaleur de son appartement, la chaleur de ses draps, la chaleur de ses lèvres. Je ne pensais jamais dire ça, mais qu'est ce qu'on en a franchement à faire, finalement, de la Science ?
J'ai trouvé mieux, oui bien mieux, sur Terre. Ça oui, car vous savez, je sais que ce que j'ai, là, bien dissimulé, au creux de ses yeux bleus. Un trésor qui n'a plus de valeur.

C'est fou comme ça change les gens, le bonheur.

Les Hommes sont des menteursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant