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Appuyé contre la paillasse de la cuisine, je tentais de reprendre mon souffle.
Dans le salon, une dizaine de personne, des amis de la famille, Lucy, qui avait sauté dans le premier vol en direction de Vienne, ainsi que ses deux sœurs, Lydie et Alice, dont je venais de faire la connaissance.

La tristesse, le chagrin d'avoir perdu un être cher. Cela représentait mon quotidien il n'y a pas si longtemps. J'avais côtoyé tant de fois ces sentiments, sans jamais  qu'ils ne  me touchent. Je passais mon chemin  avec indifférence. Avec même un léger mépris.

Aujourd'hui, j'y étais confronté d'une bien douloureuse manière. Carole n'était plus.

Jamais je n'aurais su évaluer mon attachement pour cette femme jusqu'à ce que Lilith vienne récupérer son âme, devant moi, impuissant, incapable, suppliant, seul, avec cette douleur, ce poignard venant se loger dans mes entrailles.

- Ça va ?

Sur mon épaule s'est posé une main qui se voulait rassurante, mais le timbre de la voix était si brisé.

Je me suis détourné pour apercevoir Alice, la sœur aînée de Lucy. Malgré ses yeux cernés par l'accablement et son visage terni par la peine, elle possédait la même beauté douce et apaisante que sa mère.

J'ai inspiré un grand coup avant de hocher la tête et de lui offrir un sourire tordu.
C'était la première fois que j'étais face à ces émotions, et leur intensité me faisait perdre pieds.

- J'aurai aimé te rencontrer dans de meilleurs circonstances à t-elle dit en me rendant un sourire tout aussi tordu que le mien.

- Lucy m'a beaucoup parlé de toi, elle m'a dit que grâce à toi ma mère se sentait moins seule, et j'aimerai te remercier pour cela.

Les coins de mes lèvres ont tentés une ascension, en vain.

J'aurais aimé lui dire que en réalité, c'était Carole qui m'avait tant donné. Un toit, un emploi, une présence. Mais de ça, je n'ai pas été capable, à cause du feu dans ma gorge.
On a donc rejoint les autres au salon.

Dans un coin de la pièce , un peu en retrait des autres, j'ai aperçu Paul. J'avais passé suffisamment de temps avec lui pour savoir que tout comme moi, il avait du mal avec ses émotions, mais je savais également l'amour innocent, inconditionnel et secret qu'il portait a la défunte. Et bien qu'elle feigne de ne pas le savoir, Carole le savait aussi, et elle n'était pas si indifférente aux attentions de son ami.

De loin, je lui ai fait un signe solennel de la tête, pour le saluer, pour lui dire « je te comprends », « Je compatis », « je ressens la même douleur » .

Les derniers visiteurs sont parti en début de soirée, nous laissant seul, avec une montagne de nourriture. Des lasagnes, des tourtes , des quiches. Il y en avait pour une année entière.
Cependant, assis autour de la grande table, nous n'avions pas faim.

Lydie était la petite dernière, elle était légèrement différente de ses sœurs. Les yeux plus arrondies, le nez plus pointu. On aurait dit une fée. De long cheveux bruns encadraient son visage juvénile.
Elle n'avait pas prononcé un mot depuis son arrivé. Les yeux fixés sur le dos de ses mains. Elle avait gardé le silence .
Bien qu'elle n'ait dis mot, je la sentais plus hostile que ses sœurs à mon égard. Elle avait une attitude plutôt farouche, accompagné de regards amers.

- Il faudrait prendre contact avec le curé de la paroisse , elle n'y allait pas beaucoup, mais c'est ce qu'elle aurait voulu.

Toujours attablé dans la cuisine, on tentait d'organiser les choses pour rendre un dernier hommage à la défunte.

- Je peux prendre ma journée demain, et vous accompagner. Paul comprendra.

- On peut le faire seules, merci . Son ton se voulait sec et cassant.

- Lydie. L'a repris sa sœur aînée

- Quoi ?! Je suis la seule pour qui c'est étrange ? Un inconnu, un homme, qu'on ne connaît ni d'Adam ni d'Eve, qui aménage ici, pour je ne sais quelle raison, et quelques mois après maman qui meurt ?

Le ton sec de sa voix avait grimpé de quelques décibels. Il y avait de la rage, de la douleur, du mépris .

- Es-tu en train d'insinuer que ...

- Je n'insinu rien, je dis juste qu'on peut se débrouiller toutes seules, sans ce type.

- M, je ...

- Non, elle a tout à fait raison, vous venez de perdre votre mère et vous avez besoin de vous retrouver... en famille. Je serai en haut si vous avez besoin de quelque chose.

Ce soir la, avant de m'endormir , j'ai réalisé encore une fois combien j'étais seul. Sans aucun allié.

MOù les histoires vivent. Découvrez maintenant