Isolé de mes pairs par mon impossibilité de communiquer, isolé par mes idées, isolé par mon vécu...
Passé un certain stade, la solitude me parut fort complaisante. J'étais aux antipodes du bonheur, toutefois je n'étais pas en danger. Ce sentiment de quiétude retrouvée avait été arraché au prix d'un mois de lutte pour ma propre survie. Bien plus que les combats absurdes qui animent nos vaines existences, le spectacle de la nature m'apparaissait d'une beauté sans pareille. La simple caresse des rayons de notre soleil artificiel, observer les brises d'une saison intemporelle balayer les aigrettes des pissenlits, me hisser par-delà la branche la plus haute d'un cerisier, m'émerveiller sur les efforts de toute une fourmilière s'attaquant à fertiliser un champ de fleur adjacent. Avec le recul, j'avais peut-être plus souffert du désert, de son vide et de sa monotonie que de l'absence de mes frères. Si mes proches s'éloignaient de plus en plus de mon cœur, les animaux au contraire s'en rapprochaient. La faune qui s'épanouissait dans le dôme jouissait d'un statut proche du sacré. Naturellement la chasse y était interdite, l'élevage extrêmement contrôlé et les pesticides proscrits.
Une sélection d'animaux de tous horizons avait été choisie pour le dôme. Ces mêmes espèces furent retravaillées par les experts les plus pointus de la génétique et de la biotechnologie de sorte à pouvoir les rendre compatibles à leur nouvel écosystème. Les produits de ces hybridations donnèrent lieu à des transformations d'envergures, nos chevaux perdirent en masse afin que les dimensions d'un poney correspondent à celle d'une taille adulte. Nos chiens ne dépassaient pas la taille d'un chat, nos chats d'une souris et ainsi de suite. Nos fourmis, oiseaux et autres insectes subirent en revanche des transformations inverses, gagnant en proportion selon les besoins accrus du dôme en pollinisation, les oiseaux servirent que de contremesure à cette nouvelle biomasse nécessaire. Du point de vue d'un étranger, le dôme pouvait aisément être confondu avec un jardin d'Eden.
Je fus arraché de mes rêveries bucoliques par un diacre de la noire candeur, m'informant d'une convocation auprès du quartier général de l'œil.
Situé au centre du dôme et s'élevant sur une centaine de mètres, le « dernier retour » façonnait à sa manière le paysage qui l'entourait. Une architecture étrange participait au charme de l'endroit, en effet le bâtiment avait été conçu en forme d'alvéoles bombées subtilement intercalé par des dalles en verre. Avec un jeu de perspective et de lumière savamment élaboré, l'ensemble formait un globe oculaire géant, lui-même découpé en pléthores de plus petits yeux. L'observer donnait toujours une impression saisissante, comme si votre regard était rendu par une centaine d'autres.
Le chemin pour y aller était une merveille en soi, le sentier dessinait une vraie osmose, une vraie harmonie entre technologie et nature.
Les câbles s'entremêlaient aux lianes, les routes étaient faites d'un mélange curieux de mousse végétale, de goudron et de coton composant un terrain irréel. Comme si la terre elle-même était un cœur palpitant dont les veines formées d'un dégradé de blanc de vert et de noir, autant de routes amenant au « Dernier Retour ». Si cette bâtisse était probablement l'accomplissement architectural et technologique du dôme, son environnement l'était tout autant. Tout autour de ce monument, des hybrides mécano-végétale étonnaient de par leur ingéniosité de conception. Ainsi, gravitant autour du curieux immeuble, on pouvait apercevoir des drones de stockage reconverti en écosystème volant, comme si plusieurs mondes tournaient en orbite autour de l'œil.
Le clerc me fit traverser une myriade de salles grotesquement similaire, m'évoquant un labyrinthe de confusion camouflé en quartier général. Après une infinité de couloirs et de portes strictement identiques, il me conduisit vers un escalier sous-terrain donnant sur une énorme pièce.
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Anthropo-nihilisme
Science FictionAu crépuscule de sa déchéance, la race humaine échappa à l'extinction totale en édifiant cinq dômes de survie. Zachary Tempès vint au monde au dôme de la vision, ce jardin d'Eden mêlant admirablement un écosystème varié à une technologie de pointe...