Chapitre 2

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Link aimait beaucoup Daruk. Ce grand Goron massif, dont le calme dissimulait la férocité, était l'une des personnes les plus amicales que Link ait rencontrées. C'était un cœur sensible qui s'était forgé une carapace de gros dur. Il pouvait manger joyeusement des pierres, puis donner une grande tape dans le dos de Link, et cinq minutes plus tard, écraser des dizaines de monstres à l'aide de Brise-Montagne, son énorme épée-marteau, et détruire des blocs de pierre de dix fois la taille de Link en les contrant avec son Bouclier de Daruk, un pouvoir qui lui permettait de créer une énorme boule protectrice autour de lui en cognant ses poings l'un contre l'autre. Link avait trouvé en Daruk un papa Goron. Résolument, il l'adorait.

Mais ce matin, il lui aurait volontiers asséné un grand coup de Brise-Montagne sur la tête.

Link, en plus de son devoir de Prodige, devait remplir celui de chevalier servant de la Princesse Zelda. C'est-à-dire qu'il devait la suivre partout et toujours s'assurer de sa sécurité. Avec la menace de Ganon qui s'éveillait, l'urgence de la situation fit que le roi avait nommé Link chevalier servant en toute hâte, ce qui n'avait pas vraiment plu à Daruk. Le Prodige Goron avait insisté pour que Link soit nommé selon les traditions anciennes, avec une cérémonie, un discours, une bénédiction. En temps normal, un sacre pareil se faisait dans la salle du trône, en présence du souverain et de nombreux habitants d'Hyrule. Mais le sacre de Link, qui n'était finalement que symbolique, se ferait sur l'autel non loin du château, en tout petit comité, : lui, agenouillé devant la princesse Zelda, qui le bénirait de sa main royale et des textes anciens, et les quatre autres Prodiges, en retrait sur le côté, qui observeraient silencieusement le spectacle. Link n'était pas sûr d'aimer cette idée. Etre le centre de l'attention lui déplaisait spécialement. Mais il prit sur lui. Ce n'était qu'un moment à passer. Il n'avait rien à faire, sinon s'agenouiller et regarder le sol. II n'était même pas obligé d'écouter Zelda. Il poussa un long soupir, et grimpa sur le dos de Magnus.

Link n'avait jamais assisté à cérémonie aussi sinistre.

Zelda récitait son texte d'une voix monocorde, sans la moindre émotion. Les quatre autres Prodiges les fixaient d'un œil vide. Link distinguait qu'ils parlaient entre eux, mais ne pouvait rien comprendre : leurs voix étaient couvertes par celle de Zelda. Zelda qu'il entendait, sans vraiment l'écouter. Ses pensées vagabondaient vers les trois héros qu'elle avait évoqués. Le Héros du Temps. Le Héros du Ciel. Le Héros du Crépuscule. Link avait étudiés leur légende. Tous trois avaient parcouru les temples les plus effrayants, affronté les pires monstres, risqué leur vie, et prouvé leur courage. Tous étaient les élus de la déesse Farore, dignes de la Triforce du Courage. Link pouvait-il décemment être considéré comme leur réincarnation ? Après tout, il n'avait rien fait de cela. Il ne savait que manier une épée. Il n'était rien d'autre qu'un simple chevalier, comme la garde royale en comptait des dizaines d'autres.

Link entendait d'ici son père le réprimander s'il l'avait surpris à penser pareils propos. "Le Héros du Temps n'était qu'un enfant de la forêt. Le Héros du Ciel n'était qu'un apprenti chevalier. Le Héros du Crépuscule n'était qu'un fermier. Et ils sont devenus des héros légendaires, dont la mémoire subsiste aujourd'hui. Il en sera de même pour toi, mon fils, élu de l'épée de légende. Reste droit et fort et ne manque pas à ton destin."

Link ne fut sorti de ses pensées que par un silence soudain. Il eut l'audace de lever le regard, pour croiser celui mélancolique de la princesse. Ils se fixèrent un moment en silence, chacun tentant de déchiffrer les yeux impénétrables de l'autre.

-Eh bien ? siffla Revali, le Prodige Piaf, de son air suffisant habituel. Vous allez rester longtemps à vous regarder dans le blanc des yeux ? Accessoirement, il faut que je m'entraîne à l'arc. Je n'ai pas de temps à perdre à vous tenir la chandelle.

Link savait que Revali essayait de l'irriter. Le Piaf ne supportait pas de n'être qu'un "sous-fifre". Mais le chevalier ne releva pas, et se contenta de se redresser.

-Nous devons nous rendre au village Piaf, signala Zelda. J'ai besoin de vérifier que tous les mécanismes de Vah'Medoh fonctionnent bien, afin de m'assurer de la sécurité du village.

-Parfait. On se retrouve là-bas !

Revali déploya ses grandes ailes grises, et s'envola en direction de son village.

Urbosa s'approcha de Zelda, et posa une main prévenante sur son épaule.

-Voulez-vous que je vienne avec vous et Link jusqu'au village Piaf, Madame ?

La princesse secoua la tête.

-Je te remercie, Urbosa, ça ne sera pas la peine. Rentrez chez vous, tous les trois.

La chef Gerudo acquiesça. Daruk saisit Mipha d'une de ses immenses mains et l'installa sur son épaule.

-Le domaine Zora est sur la même route que le village Goron. Je vais te ramener, princesse.

Tous trois se mirent en route. Zelda et Link se retrouvèrent seuls.

-Pressons-nous, ordonna la jeune fille sans même regarder son chevalier. J'aimerais être arrivée au village Piaf avant la nuit.

Elle se dirigea d'un pas décidé vers Albus, sa monture d'un blanc aussi innocent que l'âme de sa cavalière. Link n'avait compris que tard l'importance de la tâche de protéger une personne telle que la Princesse. Une personne sage, forte, pure et travailleuse.

Serait-il à la hauteur ?

Avant de rejoindre Magnus, Link baissa les yeux vers le symbole de la Triforce gravé sur le sol de l'autel.

Le fragment du courage était fissuré.

The Legend Of Zelda : A Memory of The Wild Où les histoires vivent. Découvrez maintenant