Chapitre 6

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Il fallut douze heures à Link et Zelda pour rejoindre le village Goron. C'était sans doute les douze heures les plus désagréables de la vie de Link. Même si le remède ignifus les empêchait de prendre feu, la chaleur n'en demeurait pas moi infernale. Link piétinait dans le liquide noir visqueux qui recouvrait son corps. À cet instant précis, il ne pouvait que plaindre Zelda et ses longs cheveux terriblement poisseux. Link tendait l'oreille aux cris de Rudania, le lézard géant mécanique qui arpentait le volcan de la Montagne. Plus ses crissements sonnaient forts, plus ils étaient proches du village.
Dans telles conditions, Link fut on ne peut plus heureux d'apercevoir l'arche de l'entrée du village Goron. À son pied attendait Daruk, les bras chargés.
-Vous voilà, les jeunes ! Vous êtes bien braves ! Vite, enfilez ça ! Ce sont des armures de pierre. C'est lourd, mais ça vous évitera de rôtir sur place !
Link ne se fit pas prier. Oubliant la pudeur, il se déshabilla immédiatement et enfila l'armure et le casque. Ils étaient lourds, en effet, mais ils coupaient toute chaleur et il ressentit une sensation de fraîcheur absolument merveilleuse.
Zelda fut un peu plus réticente. Mais le remède ignifus s'était évaporé et les flammes allaient bientôt l'agresser de nouveau. Il fallut que Daruk et Link promettent trois fois chacun de ne pas se retourner pendant qu'elle se changeait pour qu'elle consente à se déshabiller.
-Elle nous prend pour qui, la petite reine ? s'indigna gentiment Daruk. On est des gentlemen, nous ! Je sais pas si on pourrait en dire autant de ce sheikah, là, qui passe son temps à la reluquer...
Link donna un coup de coude au goron dans l'espoir de le faire taire, mais il était si massif qu'il ne le sentit même pas. Link avait en effet repéré un jeune sheikah de la cour, un talentueux troubadour accordéoniste, qui ne semblait pas insensible au charme de l'héritière du trône d'Hyrule. Mais le chevalier préférait que Zelda ne soit pas au courant. Avec tout le poids qui incombait à ses épaules actuellement, elle n'avait vraiment pas besoin d'une tourmente supplémentaire.
-C'est bon, vous pouvez vous retourner.
Ils se retournèrent.
-Quelle élégance royale, Majesté ! s'exclama Daruk. Allez, donnez-moi vos habits tous les deux. Je vais envoyer quelqu'un les faire laver aux sources chaudes.
Les deux jeunes obéirent et ils pénètrent dans le village. Daruk remit les vêtements à un de ses congénères en lui disant quelques mots. Le goron sollicité hocha la tête, puis disparut.
-À propos de Rudania... commença Zelda.
-Chut ! la coupa Daruk. On ne parle pas de Rudania ce soir. La nuit sera la dans quelques heures à peine, et vous avez fait un long voyage. Non, ce soir, c'est la fête !

Le Village Goron était sans doute l'un des lieux les plus joviaux que Link ait jamais fréquentés. Les Gorons semblaient tous amis et chaque jour était une fête. C'était l'un des rares endroits, sinon le seul, où l'on parvenait à oublier la menace imminente que le fléau Ganon faisait peser sur Hyrule.
Pourtant la Princesse ne s'amusait pas. Elle tournait en rond dans le village, mains sur les hanches, tête baissée. Link n'aimait pas la voir si austère. Zelda était une jeune fille comme les autres. Elle avait droit à la bonne humeur et à l'amusement, elle aussi.
Le chevalier observa les Gorons qui festoyaient. Ils dansaient maladroitement, et chantaient très faux des chansons païennes sur un certain Darunia, un ancien chef Goron qui aurait donné son nom à Vah'Rudania.
D'ailleurs, celle-ci arpentait le volcan de son pas lourds. Ses gémissements tonitruants et son pas grave était la seule chose qui aurait pu troubler la joie qui émanait du village Goron. Mais Link décida de ne pas y prêter attention. Pour une fois, rien qu'une fois, il n'avait pas envie d'être le chevalier servant de la princesse. Il voulait être le jeune homme de dix-sept ans qui profite de la vie. Il voulait rejoindre les Gorons qui dansaient, mais il ne pouvait pas abandonner la princesse. Le village donnait un fort sentiment de sécurité, mais Link le savait : le danger était partout, tout le temps.
Le jeune se leva d'un coup. Le fracas de son armure de pierre attira la regard de Zelda. D'un pas aussi léger que possible, il s'approcha d'elle, et lui tendit la main. L'expression de la princesse était difficile à déchiffrer, à travers son casque, mais Link y décela une grande stupeur.
-Tu veux danser avec moi ?
Il opina.
-Eh bien, je... Bien sûr, en tant que princesse, j'ai appris l'art de la danse, mais ce n'est pas ce que je maîtrise le mieux, surtout pas dans cette tenue, et...
Sans lui laisser le temps de se trouver d'autre excuses, Link empoigna sa main et l'attira parmi les Goron.
Et ils dansèrent. Link s'étant toujours consacré à la chevalerie, il ne s'était jamais adonné à une discipline aussi raffinée que la danse. Son corps se mouvait dans tous les sens, au gré du tintamarre de son armure. La princesse tentait de rattraper ses pas calamiteux, sans succès.
Link était ridicule et très mauvais, il le savait, mais peu lui importait. Pour la première fois depuis des années, Link se sentait le droit de s'amuser.
Très vite, tout le monde voulut danser avec la princesse. Elle refusa d'abord, puis se laissa entraîner. Elle abandonna son partenaire, qui s'éclipsa pour l'observer de loin et veiller à sa sécurité. Link entendit très clairement le son de son rire cristallin s'élever parmi la cohue. Il sourit. Enfin, il sentait son rôle accompli. Son rôle, qui était de défendre la vie de la princesse. Mais la vie, ce n'était pas que le cœur qui bat, et le sang qui coule dans les veines. C'était aussi le bonheur, le rire, la légèreté et la paix.
Zelda était une personne bien. Link serra les poings. Il se promit, dusse-t-il lui en coûter la vie, qu'un jour, Zelda pourrait rire et se laisser aller au bonheur, comme elle le faisait ce soir, sans qu'elle ne s'en sente coupable.

The Legend Of Zelda : A Memory of The Wild Où les histoires vivent. Découvrez maintenant