Chapitre 1 : 8 Juillet

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Pouet !

Alors par où commencer... Voici une nouvelle fiction sur laquelle je travaille depuis un long moment, et que je voulais absolument finir d'écrire avant de commencer à publier. Je publierai un chapitre toutes les deux semaines sans faute, normalement le Dimanche soir. Il peut quand même paraître le Samedi ou le Lundi suivant les éventuels imprévus que je peux rencontrer "In real life" comme on dit dans le jargon du net.

Du coup, TOUS les chapitres sont déjà écrits, ce qui me permet d'être sûre de tenir mes délais. J'ai même mis une alarme pour ne pas oublier. Donc pas de soucis de ce côté-là.

Cette fic va surtout parler de la relation très fraternelle de Gray, Natsu et Erza (principalement Natsu et Gray). Cela racontera un événement particulier qui s'est produit dans le passé et qui a toujours sa petite influence, entrecoupé d'événements présents en rapport avec ça. L'histoire est assez sombre et très sérieuse, et va raconter comment Natsu et Gray en sont venus à la relation qu'ils ont maintenant. En tout cas ça ne sera pas un chemin de roses, vous pouvez me croire... Lucy sera là aussi à partir du chapitre suivant, et jouera un rôle important dans tout ça. Je pourrais en dire un peu plus mais le mieux je pense c'est que vous découvriez tout ça par vous-mêmes.

Il y a une petite chose qu'il faut que vous sachiez : Il y a quelques incohérences entre ce que l'on sait dans le manga et ce qu'il y a ici et cela est parfaitement voulu. Pour vous donner un exemple : Il ne faudra pas tenir compte de ce qu'il s'est passé entre Gray et Erza lorsqu'ils étaient petits, puisque j'ai on va dire "réinventé" cela d'une autre manière. Il y en a sûrement d'autres mais voilà, faites comme si vous ne saviez rien de ce qui s'est passé quand ils étaient petits, que ce soit Gray, Natsu ou Erza. (Hormis bien sûr leurs passés respectifs en dehors de la guilde).

Petite dernière chose : J'ai créé un pitit serveur discord pour ceux qui veulent nous rejoindre papoter de FT ou autre (j'en profite aussi notamment pour donner des nouvelles sur mes différentes avancées dans mes fictions). Même si sur ce site j'ai pas publié grand-chose, je préfère quand même vous le dire, au cas où vous voudriez venir. Voici le code d'invitation : afgjH92. On n'est pas beaucoup mais j'espère que certains d'entre vous nous rejoindrons ! Sachez aussi que toutes mes autres fictions sont disponibles sur fanfic-fr.net.

Bon, je crois avoir dit tout ce que je voulais dire alors... je n'ai plus qu'à vous souhaiter une bonne lecture !


Il fut tiré de son sommeil par les gazouillis mélodieux de la faune locale, titillant doucement sa conscience somnolente. Ses paupières se soulevèrent avec difficulté, confrontant ses prunelles encore embrumées de rêves à la lumière du jour.

Le murmure constant du vent glissait à travers sa fenêtre immuablement ouverte, frôlant les branches du vieux saule Selbra, vénérable centenaire que son modeste appartement accueillait presque entre ses murs. Il se redressa sur un coude avec un long bâillement, et comme à l'accoutumée, son regard se noya dans le panel coloré du paysage. Depuis son cocon de draps, il pouvait voir l'astre solaire s'éveiller doucement en même temps que lui, ses rayons encore ensommeillés d'un profond vermillon frapper les eaux de la rivière jusqu'à atteindre son œil attentif. La journée débutait à peine, et il lui était rare de s'éveiller naturellement à une heure aussi matinale, pas lorsqu'il était affranchi de sa fonction de mage comme chaque début du mois de Juillet.

Fairy Tail était en congé depuis six jours. Chaque année depuis un certain événement d'il y avait quinze ans, la guilde avait décidé en sa mémoire de s'accorder quelques jours pour se confronter à son souvenir, et ainsi honorer la promesse de soutien éternel qu'ils avaient faites à celui qui en ce moment en avait le plus besoin.

Chacun était libre de prendre ce que le maître avait appelé « vacances » pendant la première semaine du mois, mais les plus anciens membres de la guilde savaient mieux que de se fier à la légèreté connotée par cette appellation, et continuaient depuis des années de suivre ce qui en vérité était plus un rituel qu'autre chose. Ce n'était qu'un prétexte pour encourager les nouveaux arrivants qui ne connaissaient encore rien des mœurs de la guilde à rester sur place sans avoir à leur expliquer les détails. Les missions n'étaient pas interdites pour autant, mais voir les anciens se soumettre de leur propre volonté à ce rituel suffisait généralement à dissuader les nouveaux de partir. L'ennui pendant ces sept jours d'inactivité était mortel et pourtant aucun des aînés, Gray compris, n'avait jamais cédé à la tentation de partir en mission.

Se sachant inapte à retourner dans l'étreinte régénératrice appelée « sommeil », il s'étira longuement et s'assit au bord du lit. Passant brièvement une main dans la masse brune de ses cheveux avec un soupir d'auto-encouragement, il se leva, les dernières traces de somnolence s'évaporant se faisant de ses traits, et pénétra dans la cuisine.

Comme chaque matin, il traça d'abord son chemin jusqu'à la fenêtre, touchant du bout des doigts les quelques feuilles de Selbra qui s'introduisaient dans son logis avec un coup d'œil furtif mais contemplatif de l'horizon et ses couleurs, se préparant mentalement à la nouvelle journée qui s'annonçait. La lente ascendance de l'aube sur les couleurs nocturnes poudrait les nuages et enveloppait le ciel d'un mélange de carmin et de safran, promettant au jour d'être clair et ensoleillé. Le couloir aquatique qui serpentait à quelques mètres, contournant sa maison pour continuer sa route vers les remparts et rejoindre la mer, offrait à l'air ambiant une fraîcheur plus que bienvenue en ces étouffantes journées d'été.

Le jeune homme s'étira à nouveau et se détourna de sa contemplation avec un second bâillement suivi d'un ultime soupir. La beauté de ses aubes et de ses crépuscules n'y changeait rien : Gray détestait l'été. Rien d'étonnant de la part d'un mage de glace, diriez-vous. Et pourtant, la chaleur insupportable était loin d'être ce qu'il détestait le plus dans cette saison. Ce qu'il haïssait par-dessus tout, c'était les souvenirs qu'elle apportait avec elle et la culpabilité qu'elle faisait ainsi renaître. Juillet était pour lui un mois très particulier qui lui rappelait combien le gamin qu'il était autrefois avait pu être cruel et égoïste.

Suivant le cours de ses pensées, son regard se posa sur le calendrier cloué contre le mur tandis qu'il s'habillait mollement, le croissant de son petit déjeuner maintenu entre ses lèvres. Son attention s'arrêta sur la date d'aujourd'hui et le cercle de feutre rouge qui en entourait le chiffre alors qu'il passait un bras dans sa deuxième manche, et ses yeux se couvrirent aussitôt d'un voile de culpabilité.

8 Juillet.

A présent vêtu - Dieu seul savait pour combien de temps -, il se redressa, soudain sombre, et son attention dériva sur ce qu'il conservait comme une relique depuis des années, inestimable dans sa protection de verre. Ce n'était qu'un livre usé de contes pour enfants, les pages qui avaient autrefois été sauvagement déchirées puis recollées ensemble étaient illisibles et sa couverture parsemée de trous et de fissures, mais pour Gray, ce vieil ouvrage avait plus de valeur que sa vie elle-même. Il était la représentation matérielle d'un souvenir qu'il chérissait et maudissait en même temps, qu'il voulait à la fois oublier et préserver, mais qu'il conservait avec la plus grande précaution. Ce jour plus que nul autre, ce vestige du passé prenait toute sa valeur et son importance.

Arrachant une bouchée de son petit déjeuner, il s'en approcha lentement et passa une main sur la carapace de verre qui le protégeait. Il fit glisser sa paume contre sa surface avec douceur, fixant son précieux bien avec une nostalgie emplie de tristesse et de remords.

« C'est aujourd'hui, hein... ? »

Pas étonnant qu'il se fût réveillé si tôt. Pas une seule année depuis quinze ans il n'avait oublié cette date et les promesses qui lui étaient liées, et il ne comptait pas faire de celle-ci une exception. Il ne savait pas vraiment pourquoi il continuait de s'y accrocher alors que tout le monde lui avait déjà pardonné depuis longtemps, y compris, surtout même, la personne concernée, mais il n'avait jamais manqué un de ces 8 Juillet et n'en avait jamais eu envie. Aujourd'hui encore, il allait tenir sa promesse. Car même s'il ne signifiait rien de particulier pour les autres, à ses yeux ce jour-même évoquerait toujours les actes barbares qu'il avait perpétré sur ce qui était devenu maintenant un ami inestimable pour lui et la guilde tout entière. Et justifié ou pas, passé ou non, il n'avait jamais pu se le pardonner.

Il souffla profondément pour se redonner courage et sortit après avoir avalé son croissant d'une traite. L'aube était encore jeune lorsqu'il atteignit les portes de la guilde, mais même la certitude d'y trouver un hall presque vide ne le dissuada pas d'y entrer.

Il ne fut pas surpris de détecter Mirajane derrière le bar à son arrivée, ni leur vieux maître assis en tailleur sur le comptoir, duquel il s'approcha. Les lampes du hall étaient toujours allumées malgré les volets ouverts, la lumière du jour étant encore trop modeste pour éclairer la pièce par elle-même.

- Bonjour Mira, Jii-san.
- Oh bonjour, Gray !

La jeune barmaid le salua avec un signe de la main et un sourire, et Makarov se contenta d'un signe de tête entendu auquel Gray répondit avant de s'assoir non loin de sa position. Mirajane se sépara du verre qu'elle essuyait et le considéra avec un mixte d'affection et de curiosité.

- Tu es bien matinal. Quelque chose à faire aujourd'hui ?

Le jeune homme se perdit légèrement dans le regard brillant de son interlocutrice, cherchant inconsciemment un indice sur l'étendue des soupçons audibles dans sa voix, mais dut abandonner devant le voile de gentillesse désintéressée qui les dissimulaient et détourna les yeux sur un point fixe à côté de son visage.

- Ouais, quelque chose comme ça.

Il la vit partager un coup d'œil furtif avec Makarov mais ne put être témoin de la réaction de celui-ci. Les traits de Mirajane s'adoucirent dans une expression inquiète mais elle ne força pas une réponse de la bouche du mage de glace et demanda simplement :

- Je te sers à boire ?
- Je veux bien un peu d'eau, merci.

Elle acquiesça et disparut dans la cuisine. Gray contempla le balancement régulier de sa chevelure avec absence puis pivota sur son siège pour faire circuler son attention sur plusieurs détails du hall silencieux de la guilde. Chaque table était scrupuleusement à sa place et vide de tout occupant, les chaises soigneusement rabattues en-dessous, et le silence était si absolu qu'on pouvait entendre à travers les murs pourtant épais les murmures de la ville qui s'éveillait à l'extérieur. Son inspection s'interrompit pour se concentrer sur son emplacement habituel et il crut presque voir son image s'empiffrer, s'exclamer et distribuer des sourires, lui témoignant combien ses pensées étaient particulièrement empreintes de sa présence.

- Quelque chose te tracasse, mon garçon ?

La soudaine intervention du maître dissipa la silhouette illusoire qu'il avait fixée pendant des secondes qui lui parurent être des heures, et il soupira de dépit.

- C'est trop calme.
- Il est encore tôt.
- S'il te plaît, Jii-san. Tu sais très bien de quoi je parle.

Le vieil homme ne répondit pas et convergea son attention dans la même direction que Gray, se perdant à son tour dans une contemplation lointaine du siège resté vacant depuis six jours. L'absence de son occupant se faisait cruellement ressentir dans l'atmosphère de la guilde et le cœur des mages qui en connaissaient la raison, et ces jours de calme entamaient déjà sérieusement leur énergie. En cette période particulière, rien ne leur manquait plus que sa présence, et la perspective d'une nouvelle journée sans la vitalité qui lui était propre était presque déprimante. Car ils savaient pourquoi ils en étaient privés, et cette simple pensée les chagrinait terriblement.

Le mage de glace détecta son mouvement et étira discrètement ses prunelles vers lui pour apercevoir deux pupilles brillant d'une lueur peinée qui fit ressurgir sa culpabilité refoulée. Il soupira à nouveau tout en se retournant vers le comptoir avant de poser nonchalamment son menton contre sa paume dans une attitude exaspérée.

- Je déteste Juillet.

Il ne s'embêta pas à s'enquérir de la réaction de Makarov, sachant pertinemment à quoi elle allait ressembler, et attendit simplement les mots qu'il savait à venir en observant l'ombre de Mirajane s'agiter et se déplacer dans la petite cuisine. Il se demandait vaguement si elle prenait délibérément autant de temps avant de revenir pour les laisser discuter sans restriction lorsque la voix du maître s'éleva enfin.

- Comme tout le monde ici.
- Hum.

Il vit distinctement Mirajane s'interrompre dans ses mouvements quelques secondes avant de reprendre sa besogne, et malgré les apparents efforts qu'elle avait faits jusque-là pour ne rien laisser transparaître, il sut qu'elle les écoutait. La simple mention de cette stressante période de l'année suffisait souvent à faire ressurgir les souvenirs de ce jour-là, quinze ans auparavant. Les regrets infectaient déjà l'esprit du mage de glace lorsque Makarov poursuivit brusquement.

- Ne te blâme pas trop.
- Huh ?

Il s'autorisa cette fois un regard sur le maître qui fixait le dos de Mirajane, ayant sans doute perçu comme lui l'instant d'hésitation de la jeune femme. Sous les lumières blafardes qui émanaient du lustre au-dessus d'eux, l'émoi présente dans les yeux de Makarov sembla s'embraser tandis qu'il les posait sur le mage de glace, et celui-ci en frissonna presque.

- Je sais quel jour on est, et ce qu'il signifie pour toi.

Cette information n'apaisa aucunement son malaise. Même s'il savait que son grand-père de cœur lui avait déjà pardonné ce qu'il avait fait, ce fut davantage la certitude qu'il n'avait jamais oublié ce jour qui le perturba que celle qu'il eût pu lire si facilement en lui, et ses mains frémissaient déjà d'effroi lorsqu'il y dirigea le regard. Comment qui que ce soit pourrait-il oublier... ça ? Il était le seul avec Erza à connaître et à vivre avec les détails effroyables des événements qui avaient amené cette horreur aux portes de leur foyer, mais la vision de ce corps ensanglanté et brisé de toute part s'effondrant à genoux sur le seuil de la guilde accompagnée des mots, des implorations et des larmes qui avaient déchiqueté leur sensibilité jusqu'au noyau hantaient le cœur de tous, et c'était de sa faute.

Le souvenir qui jusqu'à maintenant ne faisait qu'effleurer la surface de son être explosa, s'introduisant par tous les pores de sa peau pour envahir son organisme. Il put pratiquement sentir à nouveau les os de sa victime se fracasser contre ses phalanges, les tremblements de son corps sous ses doigts, son sang éclabousser son visage, et même entendre ses hurlements de douleur, et les assauts de ces horribles sensations lui écrasèrent le cœur de dégoût envers lui-même. La rage bestiale qui l'avait animé sembla lécher ses entrailles comme s'il était revenu des années en arrière, et il se souvint des mots. Bon sang, ces mots. Il avait du mal à croire maintenant qu'ils eussent franchi ses lèvres, qu'il eût pu être aussi répugnant et monstrueux. Son égoïsme, son instabilité mentale et sa jalousie avaient failli faire disparaître une existence entière du futur de la guilde, et le simple fait d'imaginer ce que celle-ci serait devenue sans elle, et inversement, lui retournait l'estomac.

Il posa une main tremblante sur son front, s'accoudant sur le comptoir, et força une puissante expiration de ses lèvres glacées d'épouvante.

- Si tu t'en rappelles, c'est que tu n'as pas oublié. Ce que j'ai fait...

Le contact chaleureux et rassurant qui effleura son bras affaissa ses épaules tendues par le remord, mais il ne put se résoudre à regarder son interlocuteur dans les yeux et vissa les siens sur un point aléatoire du comptoir, s'efforçant d'en suivre une rainure le plus attentivement possible pour chasser les restes d'effroi que le souvenir ainsi ravivé avait laissés derrière lui.

- Ce que je n'oublie pas, Gray, c'est que ce jour est celui-ci où l'un de mes garnements va se faire du mal inutilement. Et je ne parle même pas d'Erza.

Erza. Ses muscles se raidirent à la mention de son nom. Il n'oublierait jamais que c'était à cause de lui qu'elle avait été mêlée à son crime, et qu'elle devait elle aussi vivre, d'un point de vue externe, avec les images de lui en train de massacrer un autre enfant, un membre de leur famille, telle une bête affamée. Mais le pire, c'était qu'elle ne lui en avait jamais tenu rigueur, et qu'elle s'était elle-même blâmée pour une faute qu'elle n'avait jamais commise. Si ce jour était plus difficile à vivre pour elle que pour qui que ce soit d'autre dans la guilde, c'était uniquement de sa faute et il aurait presque préféré que son amie le maudisse pour cela. Cependant, au lieu de cela, elle lui avait pardonné et s'était même appropriée une partie de son fardeau pour le soulager alors qu'il ne méritait pas. Non, il ne méritait définitivement pas des amis comme eux.

- C'est grâce à elle que je n'ai pas son sang sur les mains. Elle ne devrait même pas s'en vouloir.
- Toi non plus.

Son poing se serra, de colère cette fois. Pourquoi ? Pourquoi tout le monde continuait de lui dire qu'il ne devrait pas se sentir coupable ? Il avait frappé l'un des leurs presque jusqu'à la mort, bon sang ! Peu importe ses raisons, peu importe que cela se fût produit il y a longtemps, peu importe qu'il ne fût qu'un gamin immature, ce n'était pas un acte qui pouvait si facilement être réduit à l'insignifiance, encore moins lorsque ses motivations n'étaient alimentées que par l'égoïsme et la jalousie. N'avaient-ils jamais réfléchi à ce qui se passerait s'il autorisait la culpabilité à le quitter ? Ce serait bafouer purement et simplement ce qu'il avait souffert, comme accepter ce qu'il avait fait et les souffrances qu'il lui avaient causées. Il ne permettrait jamais une telle chose. Jamais, jamais, jamais.

La fureur était aveuglante, et il sentit sa magie frémir sous sa peau en accord avec cette émotion, lui envoyant de puissants signaux d'adrénaline. Pourtant sa voix fut plus hésitante que furieuse lorsqu'il lui répondit :

- Comment peux-tu dire ça ?
- Gray-
- Si je ne me sens pas coupable, qui le fera ?! Vous voulez vraiment que je fasse comme si je n'avais rien à me reprocher, comme si ce n'était pas ma faute ?!

Il s'était levé d'un bond en écrasant son poing contre la surface en bois, qui résista de justesse à l'assaut. Mirajane s'était retournée vers lui après un sursaut et Makarov le fixait avec une expression indéchiffrable qui réduisit sa rage à un léger frémissement de ses entrailles, se rendant compte qu'il était injuste envers eux de s'emporter de la sorte alors qu'ils ne voulaient que l'aider. Il se rassit lourdement, et le maître s'empressa de s'expliquer :

- Ce n'est pas ce que je veux dire. C'était de ta faute. Tu n'aurais pas dû faire ce que tu as fait, et tes actes ont eu de graves conséquences.

Le mage de glace baissa de nouveau la tête. Il avait beau clamer qu'il préférait que les autres le tiennent ouvertement responsable de ce qui s'était passé sans se retenir et qu'ils le maudissent pour ses horribles actions, il avait très largement sous-estimé la douleur que l'entendre de leur bouche lui procurerait. Son cœur actuellement écrasé de reproche en était une preuve aussi indéniable que ces accusations étaient légitimes.

- Cependant.

L'accentuation conférée au mot le soulagea un peu des effets de la déclaration précédente, sachant que la suite serait empreinte de tolérance et de rédemption. Se redressant légèrement sur son siège, il retint son souffle en préparation de ce qui allait suivre.

- C'était il y a quinze ans, Gray. Tes actes passés n'ont plus aucune influence sur le présent.

Le jeune homme fronça les sourcils à cela, pensif. Même si c'était vrai que l'incident n'avait rien changé d'un point de vue externe, pouvaient-ils vraiment se fier aux apparences ? Après tout, ils n'avaient jamais soupçonné l'existence de cette gigantesque blessure avant d'en forcer involontairement l'accès et d'y être confrontés de la manière la plus brutale qui soit. Rien ne leur disait qu'en creusant en profondeur, ils n'en découvriraient pas une nouvelle derrière les faux-semblants.

- Tu es vraiment sûr de ça, Jii-san ?

Celui-ci se sentit acculé par le regard interrogateur qui s'infiltra dans le sien, fragilisant lourdement les défenses qui protégeaient sa sensibilité, et sa gorge se noua.

- C'est le meilleur quand il s'agit de cacher ses sentiments, tu le sais. On n'aurait même probablement jamais su ce qu'il ressentait si cet incident ne lui avait pas forcé la main. Qui sait s'il ne cache pas autre chose pour les mêmes raisons qu'avant.

Une ride de concentration se creusa parmi les autres sur le front du vieil homme, qui réalisait à contrecœur qu'il n'avait pas d'arguments valables à lui donner pour contrer cette affirmation. Il observa les pupilles emplies de questions de son fils de cœur, et il eut l'impression de revenir des années en arrière, devant un Gray de quinze ans plus jeune et ses yeux humides qui le suppliaient pour un peu de rassurance et de guidance dans le désastre qu'il avait causé. Cette sensation se renforça lorsque le mage de glace ajouta sans rompre leur contact visuel.

- Pourquoi il agit toujours comme ça ?

Son regard était chargé des mêmes émotions qu'autrefois, de la même incompréhension, la même perdition, et Makarov crut presque entendre à nouveau sa petite voix enfantine demander :

« Dis, Jii-san... Comment il peut sourire tout le temps s'il a aussi mal ? »

Il avait éludé cette question avec une généralité et le jeune Gray s'en était satisfait, mais l'enfant était devenu adulte, et ce genre d'imprécision ne serait plus suffisante pour apaiser ses questionnements, ce qui le décevait profondément. Il n'avait pas plus de réponse à cela maintenant qu'auparavant, et rien ne le désolait plus que ne pouvoir remplir son rôle de guide et de mentor.

Il agissait toujours comme ça parce que c'était ainsi qu'il était, il n'avait pas de meilleure explication que celle-ci. Et il était sûr que Gray ne voudrait le changer pour rien au monde.

- Je ne sais pas. Mais c'est comme ça qu'on l'aime, non ?

Le mage de glace grogna simplement, refusant de s'exprimer en ces termes, et détourna les yeux de son interlocuteur qui ébaucha un sourire affectueux. Gray soupira avec lourdeur, faussement exaspéré.

- Et après les gens se demandent pourquoi on se bat tout le temps... On n'obtient jamais rien de lui sans lui foutre un poing dans la face.

Makarov en aurait ri si la situation s'y prêtait, mais même la légèreté dans cette façon qu'avait Gray de s'exprimer n'eut raison du sérieux qu'évoquait leur conversation. Ces deux-là avaient une relation bien particulière et peu de personnes pouvaient se vanter d'en connaître la profondeur, mais il faisait partie de ceux qui la comprenait le mieux, et son rôle de figure paternelle lui tenait beaucoup à cœur.

Il était heureux que Gray soit capable de lui parler de cette façon et de lui demander conseil, même si certaines choses restaient inavouables pour le jeune homme fier qu'il était devenu. Il les avait observés grandir et mûrir jusqu'à devenir des adultes, alors il lui était aisé de lire entre les lignes, et il était ainsi capable de les guider du mieux possible, de les aider à mettre au clair leurs émotions sans froisser leur fierté en entrant trop profondément dans leur intimité.

- Peut-être bien. Mais est-ce que tu voudrais vraiment que ça change pour autant ?

Gray ne répondit pas tout de suite, hésitant. Si cette question lui avait été posée il y a quinze ans, la réponse aurait été évidente. Mais maintenant... Il ne niait pas qu'il se surprenait parfois à espérer certains changements dans son comportement envers lui, à vouloir le connaître plus intimement, savoir ce qu'il pensait et ressentait et pouvoir lui parler sans les restrictions que leur imposait ce qu'ils considéraient comme « leur honneur », mais il aimait leur relation telle qu'elle était. Ils avaient atteint un niveau de compréhension de l'autre tel qu'ils n'avaient presque jamais besoin de mots pour se communiquer une émotion ou une pensée, et il appréciait réellement cette simplicité. Les quelques moments où il souhaitait le sérieux d'une conversation ne valait pas le risque de mettre cette complicité en balance.

Il n'avait pas envie qu'il change, et il doutait de toute façon qu'il en soit capable. S'il voulait mettre au clair les choses que les poings n'avaient pu lui expliquer entièrement, il avait toujours ces 8 Juillet pour le faire. Au-delà du souvenir de cet événement et la promesse qu'il lui avait faite, ce jour était aussi celui qui consolidait encore un peu plus leur amitié.

Un sourire à la fois doux et narquois flotta sur ses lèvres suite à ces réflexions sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, et il répondit avec une fermeté décisionnelle :

- Non.

Cette réponse et l'expression de Gray attendrirent encore les traits de Makarov, qui ne pouvait être plus comblé par sa position de père spirituel qu'à cet instant. Cette pensée lui donnait l'impression de prendre cinquante ans d'âge supplémentaires, mais il aimait par-dessus tout voir tous ces enfants grandir et mûrir, vivre devant ses yeux. Il adorait ces garnements de tout son cœur.

- Alors tu sais ce qu'il te reste à faire. Vous êtes tous les deux des adultes, désormais. Nous avons vécu beaucoup de choses ensemble depuis cet incident, il sait qu'on ne le laissera pas tomber et qu'il peut compter sur nous, et sur toi aussi. Il est plus que conscient maintenant qu'il ne sera plus jamais seul, et s'il défend la guilde avec autant d'ardeur, je pense que c'est aussi pour remercier les personnes qui ont cru en lui.

Makarov parut se satisfaire de l'air méditatif qui se matérialisa sur le visage du mage de glace, car il poursuivit sans attendre de réponse.

- Tu fais partie de ces personnes, Gray, quoi que tu ais dit ou fait autrefois.

Le jeune homme parut peu convaincu par cette dernière affirmation. Il croyait en lui, oui. Mais il doutait qu'il voyait les choses de cette manière. Pas après ça. Il essayait régulièrement de le lui prouver depuis, mais leur relation ambigüe laissait peu de place à ce genre de choses et il n'était pas sûr d'avoir réussi à le convaincre qu'il était important pour lui avec le peu d'indices qu'il avait pu lui fournir. Il doutait que tous les poings qui s'étaient abattus dans sa figure aient pu servir cet objectif.

Il retint un ricanement défait à cette pensée. Non, il y avait définitivement peu de chances que ses actes de ces quinze dernières années aient été utiles à cet égard. Mais Makarov ne lui laissa pas le loisir de protester.

- Même en supposant que tes actes ont toujours un impact sur lui dans le présent, je suis au moins sûr qu'il est devenu quasiment inexistant. Alors ne continue pas à te punir, tu as déjà purgé ta peine. Tu cherches une absolution que tu possèdes déjà. Et je suis sûr que tu te souviens quelle est la première personne à t'avoir donné la sienne.

Comment pourrait-il l'oublier ? Il aurait dû être la dernière des dernières personnes à lui accorder son pardon, et pourtant... A peine quelques minutes après son réveil à l'infirmerie, alors même que son corps était encore couvert des pansements et des bandages dissimulant les blessures et les fractures qu'il lui avait infligées de ses propres mains, il lui avait offert le sourire le plus salvateur et réconfortant qu'il n'eut jamais vu. Erza elle-même avait mis plusieurs heures à lui reparler, et les autres enfants des jours entiers. Seuls les adultes s'étaient montrés indulgents envers lui, et sans l'intervention de Makarov, cette situation aurait sans doute perduré encore des semaines. Mais lui, il lui avait pardonné en une seconde. Il avait accepté ses excuses et s'était réouvert à lui si vite... C'était à se demander s'il lui en avait seulement voulu à un moment donné. Maintenant encore, il lui arrivait de se demander pourquoi.

Là se situait tout le problème. Il lui avait pardonné, la guilde entière lui avait pardonné, mais lui... il n'avait jamais pu, et encore moins lorsque ce souvenir était si particulièrement et intensément présent.

Le maître soupira intérieurement de dépit, décelant aisément la remontée au premier plan de sa culpabilité refoulée dans l'expression corporelle du jeune homme.

- Vraiment, combien d'années te faut-il avant de réussir à te pardonner ?
- Au moins quinze ans, apparemment.

Un timide silence s'installa entre les deux hommes, et Gray souffla bruyamment, posant son front contre ses mains jointes avant de fermer les yeux.

- En fait je n'y pense plus la plupart du temps. Avec lui c'est vraiment trop facile d'oublier. Mais...
- Pas aujourd'hui, hum ?

Les doigts du mage de glace se resserrèrent sur eux-mêmes et il se redressa, laissant retomber ses bras sur le comptoir, l'air ailleurs.

- Pas aujourd'hui.

Makarov l'observa fixer l'intérieur de la cuisine dans laquelle Mirajane n'était plus visible depuis une dizaine de minutes, puis y dirigea son attention à son tour.

- Je suppose que se rappeler ses erreurs une fois de temps en temps ne peut pas faire de mal, mais... Souviens-toi que si ce jour est le pire de cette période, c'est surtout le meilleur.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Ce qui s'est passé il y a quinze ans est douloureux, c'est vrai. Mais tu as aussi une promesse à tenir, n'est-ce pas ? A moins qu'elle ne soit également qu'un fardeau ?

Gray savait qu'il ne parlait pas de cette promesse pour ce qu'elle signifiait en tant que telle, mais pour ce qu'elle lui permettait de faire et d'obtenir, une fois par an. Aujourd'hui, il pourrait profiter d'un moment privilégié, particulier, avec quelqu'un de tout aussi spécial à ses yeux. Aussi douloureux étaient-ils, les souvenirs du passé ne lui ôteraient jamais cette satisfaction.

- Non, ce n'en est pas un. Je veux tenir ma promesse.
- Je suis heureux de l'entendre.

Le sujet se clôtura de cette façon, et personne ne le rouvrit. Tout avait été dit, et Gray se sentait mille fois plus léger qu'à son arrivée, ce qui était luxe qu'il n'aurait jamais espéré obtenir. Les souvenirs du passé étaient toujours présents, roulant sous sa peau comme un serpent, mais la culpabilité avait mué en espoir, celui, cette année encore, de réussir à tenir cette importante promesse.

Satisfait d'avoir pu le détendre et apaiser ses craintes, Makarov déclara :

- Bon. Malheureusement j'ai une réunion aujourd'hui. Je dois y aller.
- Le conseil ne se préoccupe pas de nos petites « vacances », hein ?

Le ton de Gray était amusé, presque moqueur, et Makarov soupira d'auto-exaspération devant la stupidité de ses propres mots. Il avait appelé « vacances » ces quelques jours d'ennui et de calme oppressant durant lesquels la guilde se refermait sur elle-même pour accueillir les souffrances de l'un des leurs, mais en vérité ils étaient tout sauf reposants même s'ils ne travaillaient pas. Ses enfants n'arrêteraient sans doute jamais de le taquiner avec ça.

- Non. Heureusement ce ne sera pas long, je serai revenu ce soir.
- Bon courage, Jii-san.

Le vieil homme le remercia et se mit debout sur le comptoir, époussetant brièvement ses vêtements.

- Profitez de cette journée, tous les deux.
- Trois, en fait. Erza nous rejoindra dans la soirée, comme d'habitude.
- Bien. Alors bonne journée à tous les trois. Profitez-en.
- Compte sur nous. Merci, Jii-san.

Un dernier contact de sa main sur son épaule pour lui témoigner son soutien, et le maître sauta de son perchoir avant de sortir du bâtiment, laissant Gray seul dans l'immense hall de la guilde. Enfin, presque seul.

Le mage de glace leva brusquement le nez lorsqu'un verre rempli d'eau apparut devant lui, et ses yeux tombèrent tristement sur une Mirajane comme jamais il ne l'avait vue auparavant. Son visage était baissé, sa chevelure cachant ses yeux, et ses lèvres ne portaient plus la moindre trace d'un quelconque sourire. Il allait dire quelque chose, mais la barmaid le devança.

- J-Je suis désolée... J'ai écouté ce que vous disiez.

Le jeune homme s'empara de sa boisson avec un air coupable, remarquant les bribes de larmes qui avaient séchées sur les joues de son amie.

- C'est pas grave. Je suis désolé si je t'ai fait pleurer.
- N-Non, c'est pas de ta faute, vraiment ! C'est juste...

Elle se tut quelques instants, soucieuse d'employer les bons mots pour expliquer ses émotions.

- On sait tous ce qui se passe en ce moment-même, pas vrai ? Ça fait des années que la même chose se reproduit tous les étés, et chaque fois je me dis qu'on ne devrait pas rester bêtement à la guilde à simplement attendre qu'il revienne.

Gray comprenait ce qu'elle voulait dire. S'il n'avait pas été gratifié des instants privilégiés que lui offraient gracieusement tous ces 8 Juillet passés en sa compagnie, il n'aurait eu aucun moyen de se rassurer sur l'état dans lequel se trouvait son moral pendant ces jours de réclusion, et il se poserait sans doute la même question qu'elle. Tout le monde à part lui et Erza devait sûrement s'imaginer qu'il s'isolait dans la crainte d'être un fardeau pour la guilde, et c'était en partie vrai, mais ils ignoraient que ce n'était pas la seule raison, ni la plus importante. Gray s'en voulut un peu de ne pas s'être rendu compte des sentiments des autres membres de la guilde et de ne pas avoir clarifié cela plus tôt.

- Je ne sais pas, poursuivit tristement Mirajane, on ne devrait pas le laisser endurer ça seul... on devrait tous... lui montrer qu'on est là et l'aider à oublier, tu vois ? Encore plus en sachant... ça. C'est comme si on le laissait tomber, et je déteste ça.

Qui ne détesterait pas d'avoir cette impression en sachant que c'était l'une de ses plus grandes peurs ? Gray comprenait un peu trop bien ce qu'elle ressentait, et il s'en voulut encore plus de ne jamais leur avoir raconté ce qu'il avait appris chaque 8 Juillet.

Il y avait quelque chose que Mirajane devait comprendre. Il avait besoin de ces moments de réclusion et d'introspection. Il était dur d'y croire alors qu'il détestait la solitude par-dessus tout, mais Gray en était sûr. Il ne s'isolait pas pour oublier, mais pour se souvenir, au contraire. Se souvenir de ce qu'il s'efforçait de dissimuler et de contenir le reste de l'année.

- Hé, Jii-san l'a dit, non ? C'est plus un gamin. Qu'on soit présent physiquement ou pas, il sait qu'on est là de toute façon. En plus je ne crois pas qu'il ait envie d'oublier, au contraire. Il n'y a pas que des mauvais souvenirs à se remémorer, tu sais.
- Tu parles d'expérience, hein...

Le mage de glace s'agita légèrement sur son siège en détournant les yeux de son verre, mal à l'aise par la déviation de la conversation sur ses propres tourments, et surtout parce qu'elle avait raison. Tout le monde avait une manière différente de gérer ses émotions et de se réconcilier avec le passé, mais il y avait une constante qui ne changeait jamais : chacun avait besoin à un moment donné d'abaisser ses barrières pour le laisser submerger son être. Que cette rupture se produise en compagnie de quelqu'un d'autre ou non variait d'une personne à l'autre, mais pour ce qui était de lui, rien ne serait plus difficile que de craquer devant témoins, cette vérité n'était pas réfutable. Ils fonctionnaient tous deux d'une façon similaire à bien des égards, et même s'il n'admettait jamais cette ressemblance, il savait qu'il se comportait face au passé de la même manière que lui.

Mais ce n'était pas comme s'il avait envie de le confesser ouvertement. Il y avait une limite à ce qu'il pouvait admettre de sa relation avec lui.

- S-Si on veut.

Heureusement, Mirajane n'insista pas et parut convaincue par ses explications car sa posture devint plus détendue et ses épaules s'affaissèrent de soulagement.

- Alors... tu crois que c'est mieux de ne pas interférer ?
- Je ne crois pas. J'en suis sûr. S'il a décidé de ne plus venir à la guilde pendant cette période, ce n'est pas uniquement dans notre intérêt même s'il ne s'en rend pas forcément compte. Tu peux me croire.
- Si tu le dis...

Le mage de glace soupira, réalisant qu'il allait être obligé de continuer à mettre sa fierté de côté pour réussir à la rassurer.

- Laisse-moi exposer les choses autrement : imagine que nous allions tous le voir maintenant, que crois-tu qu'il se passerait ?

La réponse était évidente, et pourtant Mirajane ne put se résoudre à répondre. S'ils s'introduisaient dans son sanctuaire de cette manière, il ne ferait qu'en refermer les portes en se comportant comme si tout allait bien et ils n'obtiendraient rien d'autre que ses faux-semblants habituels. Le priver de son intimité était clairement la dernière chose à faire. Elle commençait à comprendre où Gray voulait en venir, mais elle n'était pas sûre de pouvoir réussir à l'accepter, alors elle se contenta de baisser les yeux, silencieuse. Se sachant sur la bonne voie, Gray renchérit :

- Pour l'instant il croit qu'on ne se sent pas touché par sa décision, il ne sait même pas que la guilde s'arrête complètement de fonctionner pour lui pendant son absence. Qu'est-ce qu'il se passerait s'il l'apprenait, d'après toi ?

Cette fois, les yeux de son interlocuteur dans les siens attendaient clairement une réponse de sa part, et Mirajane dut s'y résigner d'une voix lointaine.

- Il se forcerait à venir à la guilde... pour éviter qu'on s'inquiète.

Gray acquiesça, satisfait par les prémices d'acceptation qu'il percevait dans son expression et le ton de sa voix.

- Exactement. Et ce n'est certainement pas ce dont il a vraiment envie en ce moment. Il ne supporterait pas de nous savoir aussi sombre à cause de lui. Lui donner d'autres raisons de se forcer à avoir l'air en forme pour nous est la dernière chose à faire. Il a juste besoin d'un peu de temps pour lui-même, c'est tout. Accepter ça et l'accueillir à son retour est la meilleure chose que tu puisses faire pour lui.

La résignation était désormais clairement visible sur le visage de Mirajane mais cela n'effaça pas la culpabilité et la tristesse qui le nimbaient. Elle se sentait plus inutile que jamais et elle ne pouvait rien y faire.

- Tu as sûrement raison mais... ça ne rend pas les choses plus faciles.
- Ouais... c'est sûr.
- J'aimerais pouvoir faire quelque chose de plus. Après tout ce qu'il a fait pour nous...

Gray avait une bonne idée de l'expérience personnelle qui se rapportait à sa dernière phrase, et cela fut le meilleur moyen de se remémorer combien il était important pour tout le monde, à quel point les choses auraient été différentes sans lui. Dire qu'il avait failli être le détonateur qui aurait fait bifurquer leur futur sur une toute autre voie... Le simple fait de l'imaginer était effrayant. S'il n'était pas revenu ce jour-là...

Il secoua la tête pour interrompre le flux de ses pensées, réalisant la direction qu'elles étaient en train de prendre. Heureusement Mirajane ne remarqua pas son agitation soudaine, distraite par ses propres souvenirs, et elle confessa conformément à ceux-ci :

- Quand Lisanna est morte, il a été là pour moi et mon frère alors qu'il avait toutes les raisons de nous en vouloir. Il avait l'air tellement normal, je ne me suis même pas rendue compte qu'il était au moins aussi dévasté que nous par sa mort. Je n'ai même pas eu la présence d'esprit de penser à ce qu'il pouvait ressentir, et je l'ai laissé partir avec mes seuls remerciements en récompense. Je n'ai même pas essayé de savoir comment il allait. Il méritait mieux que ça.
- Ce n'est pas-
- N'ose même pas dire que ce n'est pas ma faute, Gray. On sait tous comment il est et je savais à quel point il était proche d'elle. J'aurais dû me douter, mais j'étais trop concentrée sur mes propres griefs pour m'en rendre compte.

Le mage de glace ne retenta pas de la contredire. Il n'avait de toute façon pas de contre-argument valable à lui fournir pour la réconforter sans lui mentir. En vérité ils étaient tous coupables d'être tombé dans ce piège à un moment où à un autre, tout cela parce qu'il était vraiment trop aisé de se laisser convaincre par les mensonges de son expression corporelle qui disait que tout allait bien et qu'il ne souffrait pas. Il n'avait pas le pouvoir de la soulager de cette culpabilité, personne ne le possédait. Tout comme personne n'avait celui d'effacer la sienne.

- Je me sens égoïste d'oublier si facilement que ce n'est pas parce qu'il ne demande pas d'aide qu'il n'en a jamais besoin.

Son regard s'assombrit et elle contempla les portes de la guilde avec absence, tristement pensive.

- Je me demande combien de fois il a franchi ces portes en se comportant comme d'habitude alors qu'il n'allait pas bien... sans que personne ne s'en rende compte.

C'était une question que Gray s'était déjà posé plusieurs fois ces six derniers jours mais curieusement, la culpabilité n'en avait pas été la cause. C'était uniquement la faute de ce satané mois de Juillet où il occupait les pensées de tout le monde par son absence et les raisons de celle-ci que Mirajane, lui, et toute la guilde se creusaient la tête avec des questions stupides. Il avait l'impression d'être comme dans un rêve, dans un état de conscience instable où toutes ses pensées et ses émotions étaient secouées dans tous les sens, les désorganisant à tel point qu'il finissait dépouillé de toutes ses inhibitions. C'était tous les ans la même chose, mais c'était la première fois qu'il parlait aussi ouvertement de lui avec quelqu'un, même à cette période de l'année. De pire en pire...

- Et toi, Mira ? Demanda-t-il soudainement. Combien de fois tu as fait ça ?

La jeune femme leva vers lui un sourcil interrogateur, prise au dépourvu par la question et le ton presque sévère que Gray avait employé. Elle ne verbalisa pas sa confusion, mais elle n'en eut pas besoin pour convaincre le mage de glace qu'il allait devoir être plus précis que ça.

- On est tous pareil, tu sais. Je suis sûr que toi aussi il t'arrive d'être triste et de rester quand même la même. Est-ce ça veut dire pour autant que tes sourires ne sont pas sincères ?

Son expression soudain purifiée de toute incompréhension lui indiqua que sa question rhétorique avait engendré en elle l'émotion qu'il espérait et il poursuivit :

- Bah voilà, c'est exactement pareil pour lui, pour tout le monde. C'est sûr que cet idiot atteint des sommets dans le domaine, mais on a tous nos hauts et nos bas, et c'est grâce à la guilde qu'on tient le coup. Tu fais partie de la guilde, non ?

Mirajane ne répondit toujours pas, à court de mots. Gray but sa dernière gorgée d'eau puis reposa le verre vide sur le comptoir avant de conclure :

- Donc tu es aussi importante que n'importe qui pour lui rendre la vie plus facile. Il te suffit juste d'être toi. Ne te sous-estime pas.

Ses lèvres demeurèrent entrouvertes quelques secondes tandis qu'elle traitait et organisait les mots de Gray, puis se refermèrent dans une expression reconnaissante.

- Merci.

Le mage de glace acquiesça, content que cette éprouvante conversation soit enfin arrivée à son terme et d'avoir pu réconforter son amie. Sa tête fourmillait encore de toutes les pensées et émotions qui avaient accompagné les mots et tournait sur elle-même comme s'il avait bu un tonneau entier d'alcool, et il avait déjà envie de retourner dans son lit et dormir des jours entiers alors que le jour était à peine levé. C'était dans les moments comme celui-là qu'il détestait encore plus ces satanés « vacances », et la perspective de devoir passer encore trois jours dans cette fourmilière de sensations mordantes lui donnait presque la nausée. Il aurait donné n'importe quoi pour tout simplement arrêter de penser.

Il soupira de déception en s'affalant presque sur le comptoir, et Mirajane ébaucha un sourire encourageant.

- Haut les cœurs, Gray. Je suis sûre que tu ne verras même pas la journée passer.
- Aujourd'hui ça va. Au moins ça ne sera pas la même routine qu'hier, avant-hier, avant-avant-hier, av-
- Ok, j'ai compris l'idée, le coupa-t-elle sur un ton amusé. Vivement que tout ça soit fini, en espérant que rien n'aura changé.
- T'inquiète pas, Mira. Attends de le voir exploser la porte de la guilde en beuglant comme un demeuré... Tout redeviendra comme avant en un rien de temps.

Il posa son menton contre ses bras croisés, puis ajouta :

- Enfin, jusqu'à l'année prochaine.

Un nouveau soupir traça son chemin de ses poumons jusqu'à ses lèvres, et il passa une main sur son visage avant de se lever.

- Bon, faut que je fasse quelque chose ou je vais me transformer en gelée. Besoin d'aide ?
- Tu ne pars pas ?
- Non, pas tout de suite. Si j'y vais aussi tôt je vais me faire jeter. En plus faut que je voie Erza avant.
- Dans ce cas... tu peux m'aider à trier quelques petites choses aux archives, si tu veux.
- Ok, va pour ça.
- Vas-y, je te rejoins dans deux minutes.

Le jeune homme acquiesça et fourra les mains dans ses poches dans une attitude décontractée en se dirigeant mollement vers l'escalier qui descendait vers la salle des archives, mais s'arrêta au bout de quelques pas pour se tourner à nouveau vers Mirajane, qui s'apprêtait à repartir dans la cuisine.

- Oh, et Mira ?

Celle-ci leva les yeux vers lui et l'invita à continuer.

- Oui ?
- Garde tout ça pour toi, ok ? Ça m'embêterait d'avoir à tuer tous ceux à qui tu aurais raconté ça.

La jeune femme ricana affectueusement, ravie de le voir redevenir ce Gray fier et sûr de lui et d'assister à la reconstruction de cette couche de glace appelée « fierté » que la situation actuelle avait malencontreusement fait fondre, dévoilant derrière elle son cœur tendre.

- Message reçu.

Gray sourit discrètement et tourna les talons avant de disparaître au sous-sol, des mots plein la tête mais le cœur léger.

Quand les masques tombent, les vents tournentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant