Chapitre 10 : Briser la glace

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Elle courait si vite que le décor forestier qui l'entourait semblait s'étirer à l'infini dans un cumulus de vert, de marron et de gris. Ses jambes étaient lourdes, ses poumons épuisés, tous ses muscles douloureusement tendus sous la terreur qui l'enveloppait tout entière, mais elle continuait de courir, désespérée de retrouver ce qu'elle avait si brusquement perdu. La pluie qui se déversait du ciel la trempait jusqu'au os, distribuant à son corps exténué une succession de frissons glacials que même la sueur et l'étouffante chaleur qui l'irradiaient ne pouvaient réchauffer.

Elle avait pourtant si chaud, elle avait la sensation que son corps entier était en feu, sa tête tournait et vrombissait comme si on la tabassait de coups de marteau, mais le froid l'atteignait toujours avec la même lancinance. Les flammes brûlantes que générait en elle l'effort considérable qu'elle devait fournir pour poursuivre sa course effrénée se mêlaient à celles créées par l'adrénaline qui affluait dans ses veines, tandis que l'effroi, lui, la gelait de l'intérieur. Cette fluctuation de sa température interne tiraillait tout son être d'une contradiction à l'autre, mais elle ne laissa pas cela la déstabiliser et jamais elle ne diminua le rythme de ses foulées.

Elle s'arrêta brusquement, une tache noire au loin attirant son attention. Elle plissa les yeux pour leur permettre de percer la brume qui flottait dans l'air, et les contours qu'elle distinguait se précisèrent pour prendre la forme d'une silhouette humanoïde étalée au sol à quelques mètres d'elle, entre deux troncs. La panique l'envahit et elle se rua en avant, la peur au ventre. Elle refusa de confirmer la supposition qui dévorait son esprit jusqu'à la dernière seconde, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus nier l'évidence.

La silhouette qu'elle apercevait était définitivement celle d'un enfant. Les larmes explosèrent tandis qu'elle s'en approchait, réalisant avec horreur que sa crainte devenait de plus en plus réelle et crédible.

« Non, non, non, non ! »

Elle se jeta à genoux devant le corps inerte gisant sur le dos dans la boue et le sang en hurlant. Elle posa hâtivement ses deux mains sur ses épaules et le secoua, les larmes qui explosèrent éclaboussant son visage épouvantablement pâle et inanimé. Ses cheveux trempés collaient à sa peau et cachaient partiellement ses paupières closes, les gouttes d'eau que le ciel pleurait s'écrasaient sur son visage une par une, diluant le sang qui le rongeait pour l'étaler sur toute sa surface et glisser jusque dans son cou. Il demeura inerte malgré les secousses qu'elle lui infligeait, et son cœur explosa de terreur.

- Je t'en supplie, réveille-toi !

L'absence de réaction du garçon et l'inactivité totale de sa poitrine l'exhorta à soulever son buste en glissant un bras derrière ses épaules, le redressant juste assez pour pouvoir coller avec un empressement paniqué son oreille contre son cœur. La tête de son ami bascula lourdement en arrière pendant son acte, et alors qu'elle attendait le son salvateur d'un battement de cœur, le sien se brisa.

Le silence était absolu.

Les larmes se transformèrent en torrent d'eau salée et son corps entier se mis à trembler alors qu'elle se redressait, l'agitant de terribles convulsions qui se répercutèrent sur le cadavre inanimé blotti dans ses bras.

- N-Non, je t'en supplie ! Tu ne peux pas... tu ne peux pas...

Les sanglots accompagnèrent tous les autres témoignages de sa détresse tandis qu'elle observait l'expression immuablement éteinte du garçon et elle hurla son immense chagrin en se pliant en deux de douleur, son front se baissant jusqu'à toucher le sien tandis qu'elle pressait puissamment la tête de sa dépouille sanguinolente contre sa poitrine.

Quand les masques tombent, les vents tournentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant