- A lire en écoutant Easy by Son Lux -
La Cigarette
Depuis deux semaines, Louise va au café à côté de l'université. Depuis deux semaines, Louise prend plus de monnaie pour se payer des boissons l'après midi. Depuis deux semaines, Louise est amoureuse.
Ce jour là, elle ne l'avait pas aperçu lorsqu'il lui avait pris sa commande. Ce jour là, elle ne l'avait pas vu la regarder pendant qu'elle buvait son café ou qu'elle lisait.
Ce jour là, elle l'avait remarqué pendant sa pause. Pendant qu'il était dehors, devant le café. Elle, assise juste devant la baie vitrée. Lui, fumant sa cigarette. Alors, il s'était retourné. Il l'avait regardé. Elle l'avait regardé. Leur premier regard au travers de la vitre avait atteint Louise. L'avait touchée. L'avait rongée. L'avait consumée.
Elle avait aimé cette grande silhouette fumante. Ces cheveux ondulés dans la brise. Ce regard noisette. Mais surtout son geste. Son geste portant à ses lèvres cette cigarette, presque finie.
Il avait aimé son geste, ses petites gorgées de café, son visage lorsqu'elle lisait.
Dès lors, elle allait tous les jours au café, dans l'espoir de retrouver cette image, ce moment, cet instant. Lui, se précipitait pour lui dire bonjour. Pour aller la servir. Et en profitait pour frôler sa main lorsqu'il récupérait la monnaie.
Il osait un peu plus à chaque visite, à chaque café, à chaque sourire.
Aujourd'hui, elle s'assied à sa place, devant la vitrine. Elle ne se retourne pas. Attend le serveur. Attend sa voix. Attend son souffle. Elle se remémore cette image, ce geste, ce visage. Certainement plus vieux qu'elle. Avec ses fines rides aux coins des yeux, sublimant son regard. Avec ses cheveux, poivre-et-sel. Mais son visage et ses mains, intactes, beaux, indiquaient sa quarantaine.
Soudain, il la voit. Son cœur s'emballe, ses yeux s'affolent. Il est presque déconnecté de la temporalité. Ses jambes agissent alors seules. Il s'empresse, comme à son habitude d'aller prendre sa commande. D'aller la rejoindre. Elle sent sa présence. Il est derrière elle. Il sourit. Elle sourit, ne dit rien. Elle ne parlera qu'après le bonjour, et pour son café.
Puis, elle lit un livre. Commence ce livre. Chaque mot, chaque phrase, entre et ressort de son esprit, trop accaparé par cet homme. Elle avale une gorgée de son café. Depuis le bar, il la voit. Il la contemple. Il l'admire. Son visage, ses allures, ses expressions.
Ça y est. L'heure de la pause. L'heure de la cigarette. L'heure du regard. L'heure d'elle. Il disparaît alors dans la réserve, prend son paquet de cigarette, en sort une, qu'il ne fume maintenant que pour un regard. Ce n'est plus une addiction au tabac, mais une addiction à Louise.
Il se dirige vers l'entrée du café, sort, il fait frisquet aujourd'hui, fait jaillir la flamme du briquet, allume sa cigarette. Il contemple tout d'abord la vue qu'offre le café. La place de la ville. Des magasins de tout genres. Et à deux pas, l'université de Louise, mais il ne le sait pas encore. Enfin, il se retourne. La voit au travers de la vitre. Cette vitre, le barrage à franchir, cette limite invisible qu'impose les commodités entre deux étrangers, entre deux adultes, entre un homme et une femme, entre eux.
Tout en la regardant, il fume avec lenteur, en espérant que sa cigarette se finisse le plus tard possible. Que cet échange soit le plus long. Que ce contact soit sans limite.
Mais, alors que les dernières cendres tombent sur le sol, Louise se lève. Il la suit des yeux, la regarde bouger. Il la voit avancer vers l'entrée, prendre la poignée de la porte, s'arrêter.
Louise s'arrête. Ses émotions la font déborder d'assurance, mais aussi de panique, de peur. Elle veut briser cette vitre, bousculer les convenances, détruire leur distance. Elle abaisse donc la poignée et ouvre la porte. Il la fixe toujours, étonné, la cigarette vient de lui brûler les doigts. Mais il ne ressent pratiquement aucune douleur, absorbé par les mouvements de Louise. Par ses pas, avançant. Dans sa direction, vers lui, lentement.
Ils se regardent. Elle se place assez proche de lui, mais sans l'être trop. La brise du printemps rafraîchit Louise. Le vent passe sous sa jupe, sur ses bras nus, elle n'a pas mis son manteau.
Ils se regardent. Ils se sourient. Ils baissent tous les deux leur regard, comme si, une fois la vitre disparue, cette timidité revenait.
Puis dans une phrase symbole de folie pour Louise, elle prononce :
- Vous voulez venir vous asseoir ?
FIN
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Pourquoi on s'aime ?
Historia CortaCe recueil regroupe des nouvelles, ou petites scènes de vie exposant l'amour sous plusieurs formes, dans plusieurs situations. En passant par l'amour passionné, destructeur, à l'amour soudain, le fameux "coup de foudre", j'écris des petites parcell...