Histoire 10 : Chips de crevettes

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Chips de crevettes

En ouvrant la porte, la cloche retentie. Je rentre dans le restaurant, tout de suite interpellée par un homme.

- Bonjour, une table pour deux c'est possible ?

Suite à l'acquiescement du serveur, nous nous installons à une table collée à la baie vitrée. Ne vous imaginez pas une vue imprenable sur un lac, ce n'est pas le cas. La vue est bien plus réaliste, donnant sur la route centrale de la ville. Et si on traverse cette route, on peut visiter la boutique des pompes funèbres. Plus réaliste, on ne peut pas.

Aujourd'hui est un jour spécial. Enfin, si on peut dire. C'est mon anniversaire. Alors, oui, ce n'est pas pour le point de vue de ce restaurant que mon père a choisi cet endroit, mais bien pour la nourriture.

Je tourne les pages de la carte en sachant pertinemment ce que je vais choisir. Et je savais déjà avant de rentrer, fréquentant souvent cet endroit. Routine. Lorsqu'on entre dans celle-ci, le goût des choses, de la vie, deviennent fade. Et j'attends désespérément l'échappatoire, depuis trop longtemps. En vain.

Alors, en dégustant ma troisième chips de crevettes, mes pensées se balladent dans le flot incessant de parole de mon père. Légère interruption, la cloche retentie.

Une couple de personnes âgées entre, suivi d'une troisième personne que je ne prends pas la peine de détailler, trop obnubilée par qui prendra la dernière chips de crevettes.

Le serveur place les nouveaux arrivants derrière mon père, en face de moi. Il leur donne les menus, et les chips de crevettes. La chance. Ils ont aussi droit à cette vue imprenable sur les pots d'échappements, les bouchons, les klaxons, les cercueils et le fleuriste, vieux profiteur de la mort. Je me dis alors, heureusement que le double vitrage existe.

Le serveur prend notre commande. Mon père et moi n'avons pas vraiment de discussion si ce n'est sa passion pour me faire des monologues sur son travail. Relation compliquée que voulez-vous. Je l'écoute sans entendre, le regard perdu dans la salle. La musique typique des restaurants asiatiques me crève les tympans à chaque son. Ecoutent-t-ils vraiment ces musiques d'ascenseurs atteintes de l'âge ingrat, cette période chez l'adolescent provoquant la foudroyante et fatale mue ? J'essaie donc de porter mon attention sur autre chose que ce bourdonnement aiguë régurgité par cette chanteuse.

Puis, dans un mouvement qui attire ma curiosité, tu baisses ton menu, prends une chips de crevette. Tu lèves ton regard, l'encre sans faire attention dans le mien et croque la chips de crevettes. Mes yeux ne divaguent plus alors dans le restaurant. Ils restent plantés dans les tiens, peut-être attendant l'éclosion d'un bourgeon.

Tu manges cette chips mais tu me regardes toujours. Malheureusement nous sommes chacun rappelés par la discussion entamée avec nos proches.

Mais c'est fini. J'enchaîne seulement des sujets pour meubler la conversation, bien que mon esprit soit préoccupé par tes yeux. Et ce serait mentir que de dire qu'ils sont normaux. Un bleu vif, précieux, océanique. Entre le Saphir et le Topaze. A l'image de ces pierres, tes yeux sont bruts, francs, violents, transperçant, cassant. Alors, je vais être aussi franche, à l'instant où ils sont entrés en contact avec les miens, j'aurais pu tout abandonner pour être avec moi. Oui, tout, même les nems que je venais de commander.

Parlons de tes cheveux. Châtains. Ce serait mentir que de dire qu'ils sont quelconques. Mais ce serait aussi mentir que de dire qu'ils sont magnifiques. Les cheveux ondulés me font craquer, mais tes cheveux en batailles y arrivent très bien.

La suite du repas se fait d'un banal sans nom, tout de même pimentée par tes coups d'œil et tes sourires en coin dès qu'ils croisent les miens.

Venu le moment de payer l'addition. Signe de la fin de ce moment, signe de notre séparation si je peux dire ainsi.

Mon père m'envoie payer, charmant pour le jour de mon anniversaire. Il y a une petite file au comptoir, me permettant encore un peu d'être dans la même pièce que toi.

Je me retourne et me rend compte que tu n'es plus à ta place. Et me rend compte que tu es juste derrière moi. Ta carte bleue en main, tu as rejoint la file, juste derrière moi. Juste derrière moi. Inévitablement nos regards entrent en collision. Ce n'est plus un choc mais une explosion qui naît de chaque connexion inter-pupille. Oui, j'invente des termes, mais c'est pour la bonne cause. 

La seule phrase qui me vient en tête est, heureusement que je me suis bien habillée aujourd'hui.

Mon tour de payer vient. Le serveur s'en va un instant, le temps que je tape mon code. Alors, je suis seule au comptoir attendant au guichet.

Je ne sais pas si j'attends que tu me glisses un papier dans la poche, dans les mains, que tu me souffles ton prénom ou quelque chose qui fera que je ne t'oublierai jamais. Bien que tes yeux aies déjà fait le travail. Inoubliable.

Le serveur arrive pour retirer ma carte de la machine, me donne mon ticket, me dit à bientôt. Je souris. Bonne journée.

Je me retourne un peu trop vivement et ce ne sont plus nos regards qui s'entrechoquent mais mon épaule et la tienne. Des pardons, ne vous en faites pas s'échangent, une dernière décharge électrique visuelle, puis je quitte le restaurant, mon père m'attendant déjà dehors.

Nous montons dans la voiture, mon père démarre. Tu sors du restaurant, me regardes m'éloigner et tu tapotes la poche de ton manteau. Sans réfléchir je mets ma main dans la mienne.

Et voilà mon cadeau d'anniversaire. Ton Prénom, ton Nom, ton Téléphone et un Dessin de Chips de Crevettes.

FIN

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Salut ! 

Nouvelle petite histoire, peut-être avec un départ un peu dépriment je l'avoue mais qui fini plutôt bien ! Elle vous plaît ?

Bisouille et à très vite pour une nouvelle short-story !


Pourquoi on s'aime ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant