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Intérioriser selon ma mère n'était pas forcément une mauvaise chose, elle répétais sans cesse que de faire confiance trop vite et à n'importe qui ne serait jamais bénéfique, qu'il fallait énormément se méfier car tout ce que l'on dit est ressorti, amplifié et qu'on s'en sert contre toi à un moment ou à un autre. Plus que jamais après son décès, j'y ai réfléchi, une prise de conscience s'était amorcée dans mon esprit et j'ai fini par appliquer ce qu'elle me disait sérieusement pendant que moi je jouais avec les petites peluches sur mes habits propres.
Aaron me regarde, il a l'air dubitatif. Depuis quelques minutes déjà, nous nous passons l'objet avec son bout rouge incandescent, je glisse le joint entre mes lèvres, inspire puis je tapote légèrement dessus avant de lui rendre, quelques cendres s'y décroche et tombe dans le néant. La nuit est tombée, les adolescents se battent à l'entrée pour sortir, ou à l'inverse rentrer. La musique a changé de registre et s'attaque à la Dubstep, je sors mon téléphone, l'heure qui s'affiche indique 23:02.
- Au fait, tu vas conduire après, non?
- On verra si je suis en état, mais je pense que ça ne devrait pas poser problème, dit-il en me passant la fin du joint. On retourne à l'intérieur?
J'hoche la tête en guise de réponse et je jette le mégot dans une poubelle prévue à cet effet mais dont personne ne se sert. Aaron est très mature et connaît ses propres limites, il ne mettra aucune vie en danger, même pas la sienne, s'il détermine par la suite qu'il est capable de conduire, je lui fais confiance. L'immense chaleur à l'intérieur me fait directement tourner la tête et l'effet de la fumée inhalée juste avant n'arrange pas les choses. Je me fraie un chemin à travers le salon, une main me tape l'épaule, je me retourne et remarque le visage d'Ana qui est éclairé par les spots colorés traversant d'un bout à l'autre la pièce, elle s'approche de mon oreille.
- Y'a le grand brun qui te cherchait tout à l'heure, celui qui vit chez Aaron.
- Tu sais ce qu'il voulait? J'hurle à mon tour afin que ma voix étouffe la musique.
- Aucune idée, dit-elle en haussant les épaules pour appuyer ses paroles.
Je jette un rapide coup d'œil dans la pièce, il n'est probablement pas ici. Tant pis, si c'est important il saura me trouver. Je trouve George près d'un canapé accompagné de deux femmes dont une que je reconnais, je l'ai vu aux côtés d'Aaron plus tôt dans la soirée, elle porte sa robe mauve, je dois avouer qu'elle est très jolie. Enfin, elle, pas sa robe. Je m'assois sur le grand canapé en tissu bleu marine où il ne reste que 2 places, et me sert un verre dans un gobelet vide à partir d'une bouteille d'eau cette fois, ma méfiance a baissé à cause de la fumette et dans tous les cas, je suis trop paresseuse pour exporter mon corps jusqu'à un robinet qui se trouve soit à l'étage dans une salle de bain et qui est à mon avis, déjà prise pour autre chose, soit dans la cuisine où il faut traverser la marée humaine agglutinée dans le salon.
- Tu veux participer à un jeu d'alcool? Me propose Georges.
- Absolument pas, j'ai déjà fumé, le mélange des deux, j'pense pas que ça fasse un bon combo.
- On peut également le faire avec des joints si tu veux. Ça reste dans un petit comité.
- D'accord, mais c'est quoi l'jeu? Dis-je avec toute ma conscience.
- C'est juste un "Je n'ai jamais...", ça vient de se décider donc le temps que j'aille chercher un paquet de cartes ou un dé, ça sera trop long et chiant.
- Ok, je suis partante. Par contre, si on peut ouvrir les fenêtres parce que j'ai du mal à supporter l'odeur de la cigarette et tout l'bordel, puis toute façon, on meurt de chaud ici.
Il se met à rigoler.
- C'est paradoxal de fumer et de détester l'odeur.
Je me contente de lui sourire, il commence à ramener du monde. Nous sommes organisés tous en rond, certains sur le canapé, d'autres assis sur un coussin. Les joueurs donnent leur préférence face à l'alcool ou bien la fumette, une fois que chacun s'est décidé, Georges explique le jeu:
- C'est très simple du coup, c'est un "Je n'ai jamais..." , je pense que tout le monde y a déjà joué ou entendu parler et si c'est pas le cas, le but consiste à un joueur désigné, on va instaurer ça en rond pour moins de galères, mais en gros il devra dire par exemple "Je n'ai jamais mangé de sushi" et ceux qui ne l'auront jamais fait, devront boire 1 shooter ou fumer 2 taffes. Vous avez tous compris?
Tout le monde répond positivement, nous sommes 7, la fille à la robe mauve, Georges, une fille que j'ai déjà croisé mais dont son nom est inconnu aux cheveux blonds, un mec assez mince, blond, imberbe, un rouquin qui porte une casquette bleu sur le haut de son crâne, un autre avec le crâne rasé, c'est pas si moche d'ailleurs, et moi-même.
- Je peux me joindre à vous? Je vois que ça commence un jeu, dit une voix qui ne m'est pas inconnue.
Je relève mes yeux vers Jones, qui se tient debout, les mains dans les poches de son pantalon chino noir, à côté du sofa sur lequel je suis assis, à ma droite, j'essaie de ne pas penser qu'il n'est pas vraiment intéressé par le jeu en lui-même, je ressens un sentiment de panique, l'impression qu'il va vouloir me piéger et à son tour me cerner. Ses yeux transperce mon regard comme dans le seigneur des anneaux lorsque Frodon porte l'anneau et qu'il se fait repérer par Sauron. Putain. Il me prête un sourire affectueux, que je rends sans grande conviction avant d'aller s'asseoir sur le coussin fleuri que lui prête gentiment Georges. Que le jeu commence.
- Qui souhaite commencer la ronde? s'exclame le rouquin, assis en tailleur.
- Je n'ai jamais pris de cuite, enclenche Georges.
- Ça va, tu commences soft, lance la fille aux cheveux blonds tout en sirotant son verre calmement.
Il lui sourit de toutes ses dents.
Je lance un regard aux autres joueurs, me demandant si je vais être la seule à y passer. Je commence à prendre le paquet de tabac, le grinder, les feuilles et le tonc pour rouler le premier joint, avouant ainsi ma défaite. Le blonde imberbe se joint à moi en se servant un verre de shooter, me voilà rassurer.
- Ah vous n'avez jamais pris une seule cuite de votre vie? se moque le rouquin.
- Ils n'ont peut-être pas envie de se bourrer la tronche pour ensuite gerber leurs tripes au fond d'une cuvette, tu vois ça n'intéresse pas forcément tout le monde ce genre de délire.
Je contemple Jones et le remercie intérieurement de son intervention. Il sait être glacial, putain. Le rouquin ne rétorque rien, je fais signe au blondinet qu'il est temps de confirmer notre aveu. Je fume comme prévu 2 taffes, tandis que lui avale son verre d'une traite. On se regarde en souriant.
- Jessica, c'est à ton tour, s'adresse Georges à la fille vêtue de la robe mauve.
Elle semble hésiter.
- Je n'ai jamais fait ou reçu de fellation.
Ce coup-ci, je ne fume pas. Je pose donc le joint sur le cendrier en attendant. Il n'y a que le mec au crâne rasé qui se sert de la vodka. Ah bon? Putain j'aurai jamais misé sur lui. Il ne regarde personne, l'air embarrassé, et avale cul sec le liquide.
- Je n'ai jamais couché.
Jones me fixe de son regard perçant et déterminé, lâchant ainsi la bombe. Je sens sur son visage un sourire malicieux, comme s'il essayait petit à petit de gratter les mûrs d'une paroi rocailleuse. Je ne veux pas faire de fixette, mais j'ai comme l'impression qu'il cherche à savoir ce qu'il ne devrait pas savoir...
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