1 . Le prisonnier évadé

179 33 27
                                    

[AVERTISSEMENT : Ce roman a été écrit pour un public de plus de 17 ans. Veuillez vous référer à la "note de l'auteure" pour prendre connaissance des sujets sensibles abordés.]

***

Il n'y a que trois choses qui font tourner le monde : le pognon, la baise et la gravité. Je n'ai jamais été de ce monde-là. Le mien est bien différent. C'est celui de la défonce, de la pourriture et de la déliquescence. Voilà ce qui me vient à l'esprit alors que je suis dans un état de semi-conscience proche du coma, vautré au sol et la bouche béante.

Quelque chose, cette nuit, a foiré. J'en suis l'unique responsable. Pas Hélèna, ni qui que ce soit. Moi et ma putain de névrose.

J'ai perdu le contrôle.

J'ai merdé. Encore une fois.

Mon T-shirt est couvert de vomi, mon pantalon aux chevilles et le sexe à l'air, je suis pitoyable. Minable. Pathétique.

La joue sur le carrelage glacial et collant de pisse des chiottes publiques, je sens une chaleur familière m'envelopper doucement. Elle est encore mieux, plus apaisante, plus puissante que celle de ce putain de flash qui a guidé ma vie.

D'ailleurs...

J'ai essayé d'effacer mon passé.

Malgré tous mes efforts, je n'y suis pas arrivé.

Souvent, ces derniers temps, je m'imagine ouvrir un kit d'injection stérile. Toucher du bout des doigts les aiguilles des deux seringues comme on caresse une femme. Sortir un à un, avec délicatesse, les éléments qui le composent. Filtre ouaté, tampon de post-inoculation, les deux ampoules en plastique d'eau, les cotons imbibés d'alcool au garde-à-vous pour une virée d'enfer au paradis. Seule la capote ne m'est d'aucune utilité. Dans mon délire, je suis seul, ce qui rend ma médiocrité supportable.

Je rêve que je goûte l'amertume de la poudre brune, mon brown sugar, ma poussière d'étoiles, mon cheval, mon héro... La trouve excellente. La dilue avec le liquide stérile et deux gouttes de jus de citron. Je mélange, chauffe et épure. Des gestes automatiques jamais oubliés. Je passe ensuite à la recherche d'une veine. Un beau vaisseau bien bleu. Je me fais un putain de garrot à m'en faire péter le bras, le mets en déclive et ferme le poing. J'insère l'aiguille. Soupire d'aise. Desserre la ligature et procède à une injection lente.

Dans mon rêve, je ne me contrôle pas. Pas cette fois-ci.

Mon héroïne...

Mélangée à mon sang, elle explose en une lumière puissante dans mon crâne.

Une dose pour partir.

Un fixe pour lâcher-prise.

Un shoot pour un putain d'orgasme.

Un taquet pour ce flash qui m'a rendu esclave.

Me faire un trou pour me percher.

Me caler pour planer.

Un rush pour sentir sa vive bouffée de chaleur et mes membres s'alourdir.

Avoir conscience de la diminution de mes fonctions cérébrales. Entendre mon cœur et ma respiration ralentir fortement. Frôler du bout des doigts la Faucheuse. Humer son parfum mortifère et peut-être apercevoir son regard foudroyant.

Être dans le vice, la déchéance et la destruction. Dans mon rêve, j'encaisse les nausées, les démangeaisons sévères et j'assume la dépression de la descente et du manque.

On dit que, juste avant de crever, on voit sa vie défiler comme un film en accéléré. Je peux affirmer que ce sont des conneries. Les seules choses que j'aperçois sont du papier usagé collé au sol, un tampon dégueu qui gît non loin de ma tête, mon téléphone et la lumière du jour qui perce au bas de la porte.

... Et l'ombre d'Hélèna qui murmure mon prénom.

En une nuit, j'ai tout foutu en l'air.

Je ne suis qu'un prisonnier évadé rattrapé par son bourreau.

Ne pas dormir.

Se battre.

Ne pas mourir.

J'veux pas mourir.

Mademoiselle H.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant