Quelques heures plus tôt.
Hélèna a disparu.
Ses parents sont ici, dans mon bureau, désemparés face au comportement de leur fille. Ils ne la comprennent pas. Moi, si ; trop bien même.
Je les accompagne depuis des mois pour un soutien moral. Quand les familles confrontées à l'héroïne, au crack, à la cocaïne ne se résignent pas, je suis leur bouée de sauvetage. Elles s'adressent à moi dans l'espoir de trouver des réponses à leurs inquiétudes. Ils voient en moi un professionnel de la toxicomanie. Dans un sens, ils n'ont pas tort.
Je suis bénévole dans cette association de prévention et d'aide depuis deux ans. Je n'ai pas eu le choix à l'époque. C'était ça ou la prison. Cette peine de substitution est accompagnée d'une injonction thérapeutique. Me soigner pour une réadaptation sociale, assister les co-dépendants — c'est ainsi que l'on appelle l'entourage d'un drogué — et travailler sur moi sont désormais les seuls buts de ma vie.
J'organise aussi des groupes d'écoute et interviens dans les collèges et lycées pour la prévention. Alors que les parents démunis culpabilisent et viennent aux centres d'accueil dans l'espoir d'y trouver un réconfort, un soulagement et un soutien pour inciter leur enfant à s'engager dans une démarche de soins, on leur répond qu'en son absence et sans une volonté expresse de consulter, il n'y a rien à faire. Paradoxal.
C'est le cas d'Hélèna. Ado docile et excellente élève, elle a sombré dans l'héroïne à dix-sept ans. La pression scolaire et le harcèlement, une mauvaise rencontre, un premier shoot et c'était déjà la fin.
Commencer c'est mourir. Un suicide à petit feu.
Je les ai suivis pendant sa première hospitalisation à vingt ans. Elle était très marquée. Je les ai aussi accompagnés durant son sevrage. Elle était sur la bonne voie. Mais les difficultés tant physiques que psychologiques, Hélèna ne les supportait pas. La méthadone, son produit de substitution, n'était pas suffisante, le manque était plus fort. C'était couru d'avance, toxico si jeune, se soigner alors qu'elle était encore très fragile était presque voué à l'échec.
C'est ainsi que, tous les jours, je suis confronté à ce que j'ai été : un camé.
Depuis ma désintox, j'ai quitté ma ville natale pour purger ma peine à l'association, ici, à Paris. Ma famille, déjà bien éclatée, ne veut plus aucun contact avec moi. Mon père ne s'est jamais intéressé à ses enfants et ma mère noie sa vie malheureuse dans son whisky bon marché. Seule ma grand-mère ne m'a pas renié. Elle m'a soutenu pendant toute mon hospitalisation, et aujourd'hui encore : tous les mois, elle verse de l'argent sur mon compte. Axel, le président de l'association, m'a transformé à coups de pied au cul. Ancien toxico, il m'a pris sous son aile et m'a trouvé un appart'.
J'ai commencé l'héroïne à dix-huit ans. Je ne savais pas jusqu'où cette saloperie allait m'entraîner. C'est la pire dépendance que j'ai connue. Je ne peux pas jurer que je ne me reshooterai pas. J'ai essayé ainsi toutes sortes de narcotiques, de la marijuana au PCP, de la poussière d'ange aux barbituriques, de l'alcool à la cocaïne, de l'héroïne au LSD. J'étais de plus en plus accro. Je ne vivais que pour deux choses : sauter les gonzesses et me défoncer.
« Il n'y a rien d'héroïque à prendre de la dope, mais tu peux devenir un héros en arrivant à décrocher ». Ce sont les premiers mots qu'Alex m'a sortis lors de mon intégration dans l'association. J'ignore s'il a raison ou tort, mais ce qui est certain c'est que je suis plus lucide : c'est la salope la plus séductrice qui existe.
Aujourd'hui, je ne suis pas complètement sevré. Non. Le plus dur, d'après lui, est derrière moi, ce dont je doute chaque seconde. Ma meilleure amie, désormais, s'appelle buprénorphine. Aux yeux des autres, je suis clean parce que je me drogue légalement avec un médicament prescrit. Je n'ai plus aucun souci d'approvisionnement ni de financement. Je ne suis plus rejeté par la société bien pensante et je ne commets plus de délits. Mais le fond du problème reste le même. Je suis toujours dépendant.
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Mademoiselle H.
Short StoryCarte postale séduisante le jour, Paris vibre de toutes les passions dès le coucher du soleil. Quand le métro ferme et que les taxis sont rares et chers, ses rues s'offrent aux marcheurs noctambules. La ville s'ouvre aussi à ceux qui n'ont ou ne veu...