Seul bâtiment éclairé et d'où il se propage un son électro industriel avec des relents de métal, l'ancien hangar ferroviaire désaffecté abrite une faune bruyante. Cette ambiance me replonge totalement quelques années en arrière. Je kiffe grave cette musique. Plus j'approche, plus les décibels m'enivrent. Les basses résonnent au creux de mon estomac. Elles m'incitent à m'amuser un peu. Ici, pas de vigile, pas de carré VIP, pas de liste d'invités. Chacun entre et sort. Les normes de sécurité, d'hygiène et tout le folklore des boîtes de nuit n'existent pas. Je suis dans le Paris de la contre-culture, celui de la souillure et de la dégénérescence.
Je m'engouffre parmi la foule dans le bâtiment, guidé par la musique. Sur une scène improbable faite de palettes, un DJ au milieu d'un amas hétéroclite d'objets qui rappellent l'identité du lieu s'impose en maître de cérémonie. Derrière lui, un écran géant diffuse une succession d'images. De chaque côté de lui, des performeuses font leur show. L'une répand de la cire chaude entre ses seins avec une bougie, l'autre est suspendue par des crochets fixés par piercing. Le spectacle est saisissant. Il me donne la chair de poule.
Le public composé de filles dénudées, presque à poil, aux yeux qui puent la bite, qui se déhanchent en rythme, et des mecs transpireux en quête de chattes en chaleurs - et dont le braquemard s'enflamme dans le calbute - rôdent autour d'elles. Des hommes, des femmes, d'autres indéterminés, se défoncent à la vue de tous : les petits joueurs au shit, les moins téméraires la coke, l'héro ou le crack, amphét' pour le reste. Ici, c'est open bar, un fast-shoot à consommer sur place, un coffe shop clandestin. Y a du camé au mètre carré. Le Paradis des dealers.
Une meuf se jette sur moi et m'embrasse. Sa langue dans ma bouche réveille la douleur de ma lèvre inférieure qui me saisit. Sa brutalité m'excite. Puis une autre, plus douce, opte pour le baiser affamé, sucré et mouillé. Je me laisse faire. Aussi vite qu'elles se sont agrippées à moi, elles disparaissent dans la foule.
J'inspire profondément. J'ai chaud, je transpire, je tremble et ma peau me démange comme si des milliards d'insectes grouillaient dans mon corps. Ça passera, comme toujours.
J'ai envie d'une bière. Repère le bar clandestin qui regorge d'alcools frelatés ou tombés du camion. Une fois servi par un barman peu amène, je contemple la faune. Junkies, travelos et autres rejetés de la société bien pensante sont réunis. Je remarque les tentures qui compartimentent le local industriel. Je sais ce qu'il se passe derrière : partouzes, MST et perversité.
— Hadrien !
Je termine ma bière lorsqu'un mec s'approche de moi.
— Taz, speed, MDMA ?
Je lui fais signe que non.
— T'es là pourquoi, alors ?
— Je cherche une fille.
Ma réponse déclenche un rire ironique.
— Regarde autour de toi, y a le choix ! Allez, comme t'as l'air sympa, je te donne un bonbon. Moi, c'est Jemda, tout le monde me connaît ici. Si tu en veux d'autres, viens me voir. Je te ferai un prix d'ami. Fais gaffe, il est puissant. Mais tu vas devenir le dieu de la baise. Ça te fera du bien, t'as une sale gueule. On dirait que t'es en manque !
Il ponctue sa phrase d'un clin d'œil et me fourgue la pilule en forme de cœur dans la main. Je la regarde, j'hésite. Après tout, c'est juste pour s'éclater un peu. Rien à voir avec l'héroïne. Je ne bosse pas demain... Hélèna me donne du fil à retordre. Ce serait comme une compensation.
Je range soigneusement l'ecsta dans ma poche. Je balaye des yeux l'assemblée et demande une bouteille d'eau. Non pas pour la boire, mais pour me la vider sur le visage, je suis bouillant. Le mec du bar - qui a des faux airs à Joey Starr - me rigole au nez et me désigne du menton le coin chiottes : des saignées d'écoulement des eaux pluviales transformées en latrines improvisées s'étendent à une dizaine de mètres de lui. J'aperçois une fontaine en fonte et un type vautré dans la merde et la pisse, non loin, qui vomit ses boyaux. Very bad trip.
Ni une, ni deux je me rue dessus. Mes ablutions, en rythme, me font un bien fou. Je pousse mon besoin irrépressible de fraîcheur jusqu'à mettre la tête sous le robinet.
— Hadrien !
La voix me rappelle pourquoi je suis ici : Hélèna. Elle est là, parmi eux, je le sais.
Je déambule. Commande une autre bière. La musique me prend aux tripes. J'ai envie de me mêler à eux, à mes amis à usage unique. De sentir leurs vibrations jusqu'à leur sueur. Je ressors le taz, le coupe en deux et gobe la moitié. Je bois une longue goulée de la roteuse pour faire passer et range le reste. Ce geste est si simple. Si inoffensif d'apparence.
Je m'approche d'un groupe qui bouge au rythme des beats. L'une des nanas se jette sur moi et m'embrasse, je me laisse faire, encore. Une autre m'enlace. Je suis le roi du monde, deux minettes accrochées à moi. Je ne sais plus où donner de la langue. Je m'enivre de leurs gestes et du son. J'ai besoin de partager mon énergie. Je suis bien. La musique est bonne et les gens sympas. Les battements de mon cœur s'accélèrent. J'ai la pêche. Je m'amuse. Je danse comme un dingue. J'ai chaud. Les filles ne me lâchent pas et m'attirent à elles chacune à leur tour. L'une d'elle me montre une capote encore emballée. J'acquiesce. Les riffs de guitare mêlés au rythme électro s'immiscent en moi comme une force nouvelle. Les soucis sont loin. Une putain de patate.
— Hadrien !
Alors que je m'apprête à les suivre dans une dark room, mes yeux sont happés par la silhouette d'Hélèna qui m'observe, avec mépris, les bras croisés. Je me défais, non sans mal, de l'emprise de mes deux sirènes, qui s'accrochent à moi, pour la rejoindre. Je ne prête pas attention à leurs minauderies et leurs moues quémandeuses.
Hélèna me tourne le dos et s'éloigne.
— Hélèna ! Hélèna ! Attends !
Le regard médusé des deux meufs glisse sur moi. Hélèna marche vite. On dirait qu'elle va me faire une scène. Je déteste ça. Les filles jalouses qui font des scandales en public me pètent les couilles. Un mec se marre à ma vue, qu'importe, je l'emmerde. D'autres se foutent de ma gueule, je les emmerde aussi. Je dois la rattraper. Ne pas la laisser seule.
Soudain, elle se fige face à moi. Ses yeux noisette ont encore ce reflet doré remarqué quelques heures plus tôt. Ses épaules dénudées accueillent en leur creux ses cheveux aux mèches claires. Détail qui me fait tiquer. Elle me fixe avec une telle intensité que j'en transpire. Je sens la sueur perler sur mes tempes.
Elle ne sourcille pas. En l'espace d'un instant, je ressens une crampe à l'estomac qui disparaît aussi vite. Mon bras gauche me démange. Je suis mal à l'aise.
Hélèna me fait signe d'approcher et sans bouger les lèvres, murmure :
— Hadrien...
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Mademoiselle H.
Storie breviCarte postale séduisante le jour, Paris vibre de toutes les passions dès le coucher du soleil. Quand le métro ferme et que les taxis sont rares et chers, ses rues s'offrent aux marcheurs noctambules. La ville s'ouvre aussi à ceux qui n'ont ou ne veu...