●○ Partie XI ○●

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Arrivés dans ce camp, nous nous sommes entassés dans des baraquements et ceux qui étaient en début de colonne avaient de la place. Cependant, tous poussaient pour pouvoir rentrer, on piétinait les personnes qui étaient tombées et c'est comme ça que beaucoup de nos camarades sont morts. On était les uns sur les autres mais avec le froid polaire cette promiscuité nous donnait un peu de chaleur. Ceux qui n'avait pas pu rentrer dans une baraque durent dormir dehors mais dormir dans la neige c'était la mort assurée. Nous sommes restés des jours entiers dans cette baraque à attendre un train qui n'arrivait pas et nous n'avions toujours pas de nourriture alors pour ne pas mourir de soif nous devions sortir... Nous devions sortir pour manger de la neige, c'était notre seul moyen de survie seulement si on sortait on ne pouvait plus rentrer. Après être sorti, je me suis retrouvé à dormir sur la glace et pour se tenir plus chaud on s'était regroupé en petits groupes. Pour survivre à cette épreuve il fallait s'entraider et ne plus faire de distinction entre les sexes, les religions... Nous n'avions jamais fait de distinction entre nous car à partir du moment où nous étions à Auschwitz nous étions tous pareils : nous étions des détenus. Le matin de cette nuit glaciale je ne comprenais pas comment j'avais pu survivre.

Le train n'arrivait pas, nous devions donc nous préparer à une nouvelle marche qui serait encore plus mortelle que la première. Les SS nous mirent en colonne et commencèrent à nous trier : d'un côté ceux qui pouvaient marcher et de l'autre ceux qui ne pouvaient pas. On passait devant le SS qui répétait toujours la même chose : "à droite, à gauche...". Je me suis retrouvé dans le groupe qui pouvait continuer la marche et même si nous étions mal en point nous avions meilleure mine que l'autre groupe. Dans l'autre groupe, qui se trouvait dans un coin du camp près des barbelés, se trouvait essentiellement des femmes et quelques jeunes. Ils ressemblaient à des cadavres vivants mais notre état n'était pas beaucoup mieux. Après la fin de la sélection, un petit groupe de personnes essaya de passer la ligne de SS et rejoindre notre groupe. Alors, quand ils se sont mis à courir, les SS ouvrirent le feu et la majorité du groupe fut tué. Un jeune garçon qui était encore en vie, fut arrêté par un kapo polonais qui lui donna un coup de matraque sur le crâne. Je pus imaginer la douleur qu'il ressentit car à Auschwitz il était fréquent que l'on nous donne des coups. Il est resté inconscient sur la neige quelques instants avant de reprendre connaissance et de se relever la tête en sang. Autour de lui, la neige était rouge, rouge de son sang et de celui de ses camarades. Il dut reconnaître quelqu'un qu'il connaissait car un homme de mon groupe sortit du rang et alla parler à un SS. Cet homme lui fit signe de nous rejoindre et alors qu'il commençait à marcher, un homme de son groupe voulu prendre sa place mais un SS l'a mis en joue et l'a abattu en disant : "Toi, espèce de cochon, est-ce que tu ne peux pas enlever ton chapeau ?". Ce garçon que je ne connaissais pas, a fait preuve de beaucoup de sang froid car il est resté tranquille et lorsqu'il s'est approché du SS, il s'est mis au garde-à-vous et a enlevé son chapeau sans trembler. Ensuite, il a pu nous rejoindre. Par la suite, on apprit que les personnes du second groupe n'ont pas été tuées mais qu'elles sont restées dans ce camp.

Après cet épisode, un train est arrivé, si on peut appeler ça un train. Les wagons étaient de simples plates-formes découvertes qui servaient au transport de charbon. On a du monter dans ces wagons ou plutôt s'y entasser. Nous étions environ cent vingt et je me retrouvais au milieu de ces personnes. J'eus de la chance de me retrouver au milieu car ceux qui étaient contre les parois se firent écraser et ceux qui glissaient au sol étaient étouffés et piétinés par les autres. Le trajet a duré plusieurs jours et nous n'avions toujours pas de vivres. Petit à petit on a du se hisser sur les cadavres de nos camarades. Il y avait ceux qui étaient morts de froid, de fatigue, de faim ou ceux qui étaient morts de maladies. Bientôt et avec quelques personnes, nous nous retrouvâmes au sommet du wagon rempli de neige et de cadavres. Certains trouvaient la force de jeter quelques cadavres par-dessus les parois mais c'était une minorité ce qui expliqua qu'on dû se hisser au-dessus des morts pour survivre.

Durant ce trajet, nous avons traversé des gares et des villages où des civils nous apercevaient. Lorsqu'ils nous voyaient ils étaient terrorisés et affolés : ils ne comprenaient pas ce qu'il nous était arrivé et qui nous étions. C'est à ce moment-là que je compris que bon nombre de civils ne savaient pas ce que le régime nazi avait entrepris et ils n'avaient pas non plus connaissance de l'existence des camps. C'était un secret bien gardé mais qui allait être révélé avec la libération des camps. C'est pourquoi nous avions dû fuir, les nazis ne voulaient pas de traces de notre existence. Lors de ces passages, les civils qui n'étaient pas paralysés, nous jetaient du pain et d'autres vivres. Nous nous battions pour avoir cette nourriture mais seulement quelques-uns réussirent à en avoir. Notre train s'est arrêté à la gare de Prague et de nombreux civils allaient et venaient mais lors de notre arrêt ils sont devenus fous. Ceux qui étaient encore en vie se sont redressés et comme pour crier au monde entier qui nous étions nous avons hurlé : "Franzous, Franzous, Franzous..." Les SS se sont alors dépêchés de faire partir les civils. Et pour la première fois depuis longtemps, j'ai croisé le regard d'un SS. Il était rouge de honte... Pour punir cet affront, ils se sont mis à nous battre.

Le train est reparti et au bout d'un moment, le train s'est scindé en deux. Nous avons continué à rouler et une nuit j'ai senti le train ralentir puis s'arrêter. Je ne savais pas où j'étais mais je n'allais pas tarder à le savoir. Les SS ont ouvert les wagons mais il n'y avait plus grand monde qui était en vie. Dans mon wagon nous étions à peine une dizaine à respirer. On nous tirait par le bras pour nous faire descendre mais nous étions incapables de marcher et nous glissions sur les cadavres. A ma sortie, des détenus qui devaient appartenir à un service d'ordre interne nous aidait à marcher. Tout tournait autour de moi mais j'ai réussi à apercevoir des lumières et des barbelés. Nous étions arrivés à Buchenwald...

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Hans MüllerOù les histoires vivent. Découvrez maintenant