Le journal de Mathieu (10)

Jour 102

Finalement, j'ai donc accepté de jouer dans la pièce du professeur de français. Enfin, ce n'est pas lui qui l'a écrite et il n'est même pas le seul à la produire, mais c'est une façon de parler ! Il va donc falloir que j'apprenne par cœur le texte de Roméo. Je n'avais pas vraiment réfléchi à ça, ce n'est pas facile. La dernière fois que j'ai eu à retenir un truc pour l'école c'était de la poésie, en sixième !

— Tu vas jouer le rôle de Juliette.

— Super !

Yann s'est porté volontaire pour que je m'entraîne. Quand je commence quelque chose, j'ai toujours envie de donner le meilleur de moi-même. Quel que soit le but à atteindre, instinctivement j'ai envie d'être au top dans tout ce que je fais. La vie d'un perfectionniste n'est pas toujours simple.

— C'est quoi cette voix ?

— Je suis Juliette, donc je prends une voix de fille.

— Ouais, bah arrête tout de suite, ça me déconcentre.

— Ah, on arrive au moment où ils s'embrassent.

— Pas besoin de répétition pour ça, tu ne m'auras pas à ton petit jeu !

— Je fais la remarque juste parce que ça veut dire que tu devras embrasser une fille.

— C'est pour les besoins de la pièce. Et puis, ce sera un baiser d'acteur. Ils n'ont pas un truc pour faire croire qu'ils s'embrassent sur la bouche alors que leurs lèvres n'entrent même pas en contact ?

— Je ne suis pas dans le métier, je ne sais pas comment ils font. Tu sais déjà qui sera ta partenaire ?

— Non, la première répétition est dans... Merde, je suis en retard !

Super, j'ai manqué l'heure de la première répétition. Les autres sont déjà tous en place. Bien évidemment, ils ne peuvent pas faire grand-chose en l'absence du rôle-titre. Quand j'entre dans la salle, j'ai immédiatement un mauvais pressentiment.

— Mathieu, je te présente ta Juliette.

Laura, la nouvelle. Génial ! D'ailleurs, elle n'a pas non plus l'air très enthousiaste à l'idée de partager la scène avec moi. On va voir ce que ça donne. Ce soir, c'est juste un échauffement, nous avons encore le droit d'avoir le texte sous les yeux.

Les professeurs qui organisent cette mascarade nous bombardent de conseils. Ils se souviennent que nous ne sommes pas des professionnelles ? Ils ont conscience que nous n'allons pas jouer la pièce à Broadway mais devant les élèves de l'école et leurs parents ?

— On pourrait aller prendre un café, après, pour faire mieux connaissance.

— Ouais, si tu veux.

J'essaie d'être sympa avec Laura, mais elle ne coopère pas beaucoup. Je sens que notre face à face autour d'un café ne va pas prendre beaucoup de temps.

— Tu joues déjà bien, tu es parfaitement entrée dans le rôle de Juliette.

— Je fais du théâtre depuis des années. Je n'allais pas rater cette occasion.

— Et tu décroches tout de suite le rôle principal.

— Ouais, sans aucun piston.

— Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Arrête, Mathieu. On voit comment le prof de français te regarde. Il ne faut pas être fin psychologue pour comprendre que tu lui plais bien.

— Tout le monde dit ça, ça m'énerve !