Jour 111

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J'ai passé le week-end enfermé dans l'appartement. Je n'ai fait que regarder les informations, tout en suivant ce que les journaux mettaient en ligne. Je ne sais pas si j'ai utilisé la meilleure méthode pour affronter l'horreur des événements, mais j'ai ressenti le besoin d'être proche de ceux qui ont tellement souffert. Lundi matin, il faut quand même retourner au lycée. J'ai demandé à Sébastien de venir me chercher.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

Je regarde autour de moi. Je scrute les visages. Je n'ai jamais autant regardé le monde qui m'entoure.

— J'ai peur, j'avoue.

— Moi aussi, Mathieu. Je ne suis pas rassuré de me promener dans les rues de Paris après ce qui est arrivé. Mais si nous sommes terrorisés, ils auront gagné.

— Quand même, je n'arrive pas être tranquille.

Et je vois que d'autres sont comme moi. Les gens se regardent. Parfois ils esquissent un sourire, comme pour se rassurer. Les piétons respectent les feux rouges. Je n'entends pas les klaxons des voitures. Tout le monde est plus calme. Peut-être que, pour un temps, nous avons compris que nos petits soucis du quotidien ne sont rien, nous sommes juste heureux de vivre.


Même dans la cour du lycée je ne me sens plus en sécurité. J'ai cette désagréable sensation que des barbares pourraient surgir à n'importe quel moment et tirer sur la foule. Je ne sais pas où, à part dans mon appartement, je pourrais me sentir à l'abri.

— Il faudrait virer tous les musulmans de France. Ce sont tous des terroristes en puissance !

Mes amis s'emportent, je ne les connaissais pas comme ça. Je ne sais pas si c'est une réaction naturelle, je n'ai pas envie de les contredire. J'ai conscience que nous devrions être tolérants, mais je crois que pour le moment c'est juste impossible.

— On ne doit plus les laisser entrer et il faut expulser ceux qui sont là.

— Toutes les femmes voilées devraient faire un tour par la case prison, histoire de leur enlever le goût d'afficher leur religion terroriste.

— Tu ne peux pas dire ça !

C'est un camarade de classe qui s'intègre à notre conversation. Il s'appelle Aziz et je ne lui avais jamais parlé avant.

— T'es musulman, c'est ça ?

— Un peu comme vous vous êtes catholiques. Ma famille est de confession musulmane mais moi je ne pratique pas vraiment.

— Tu ne peux pas comparer le catholicisme à ta secte de terroristes !

Nicolas est le plus virulent. Je ne soupçonnais pas qu'il puisse avoir une telle haine en lui.

— Comme si les catholiques n'avaient jamais commis de crimes à cause de leur religion.

— C'est le passé, ça. Aujourd'hui on vit dans un monde civilisé. Nous ne sommes plus à une époque où on peut tuer des gens au nom d'un truc qui n'existe pas.

— Je t'interdis d'insulter Allah.

— Ah, je croyais que tu n'étais pas croyant !

— Tu dirais quoi si j'affirmais que ton dieu n'existe pas et que ta religion est une secte ?

— Vous êtes des barbares et c'est tout.

— Ah ouais, super argument !

— Déjà, pourquoi t'es venu nous parler ? Dégage !


Waouh, je ne pensais pas que les choses pourraient s'envenimer à ce point. Avant aujourd'hui je n'avais rien de spécial à dire au sujet d'Aziz. En fait, je ne l'ai jamais vraiment remarqué. Il y a quelques jours nous ne faisions pas de différence entre nous. Maintenant, on parle de religions dans la cour du lycée ! J'espère que tout le monde ne va pas devenir fou. Moi je ne sais pas quoi penser de tout ça. Je crois qu'on a vite tendance à tout mélanger donc il faut faire attention à ce que l'on dit. En même temps, je n'ai aucune réaction. Le fait de ne pas défendre Aziz veut-il dire que je pense comme Nicolas, qui ose affirmer qu'Allah n'existe pas et que l'islam est une secte ?

Le journal de Mathieu (10)Where stories live. Discover now