Il est une heure, Orvud s'endort (canon, no spoil)

49 8 13
                                    

Périphérie intérieure d'Orvud, Mur Sina, 3 janvier 852

Seule la lumière blanche de la lune éclairait cette chambre sobre d'hôpital. Le lit double était toujours collé dans un coin, à côté de la fenêtre aux barreaux impeccables ; Marion y était allongée. Livaï le voyait, du bureau en face duquel il était assis. Sa chaise lui tournait le dos, mais il s'y était assis de trois quarts, manie qu'il avait adoptée depuis quelques semaines déjà.

Ses prunelles claires détaillèrent les murs de pierre blanche, la vaste armoire de pin, et le plancher sombre. Elles passèrent aussi sur ses propres mains, qui tenaient l'ouvrage d'Eugeniusz Kostrovicki. Quelle heure était-il ? Une heure du matin, peut-être. Il n'avait pas sommeil : il pouvait dire merci à ses insomnies répétitives.

Cette journée aussi avait été lente. Petit déjeuner, entretien infirmier, lecture, déjeuner, promenade pseudo-thérapeutique dans le parc soigné, lecture, dîner, lecture. Il y avait eu quelques discussions, aussi, entre lui et la chercheuse. Cependant, elle n'était pas en forme. « Un oiseau mort. Encore. » Voilà la seule phrase qui en avait témoigné ; à part cela, il n'y avait que son air sombre pour être parlant.

Le petit homme laissa échapper un léger soupir. Il n'avait pas allumé de lampe à huile, puisque la bougresse devait dormir. Elle devait dormir...

« Livaï... », l'appela une voix étouffée.

Il se tourna vers Marion ; elle s'était redressée, mais ses mèches châtain dissimulaient son visage rond. Il devinait pourtant trop bien ses traits lugubres et vides. « Je suis seule, ici... »

Il fit pivoter sa chaise vers elle, et croisa les jambes.

« Non. Il y a moi, dans cette pièce.

— Mais..., continua-t-elle sur un ton plat. Il n'y a personne...

— Marion.

— Et... Rien ne bouge... Tout est froid...

— Marion. Je suis là. »

Elle releva laborieusement la tête vers lui. Là, ses yeux verts le scrutèrent longuement ; lorsque des larmes y naquirent, Livaï ferma les paupières.

« Dors.

— Vous êtes là..., murmura-t-elle.

— Oui. Marion, dors.

— Mais vous êtes loin. »

Cette fois-ci, un court étonnement se saisit de l'intéressé. Il retourna vite à sa neutralité usuelle.

« Je suis à trois mètres.

— Je ne vous avais pas vu. Non. Je ne vous vois pas. Vous êtes loin. Où est-ce que je suis ? Vous êtes loin. Je...

— Je ne quitterai pas cette pièce. Va pioncer.

— Mais... Ici...

— Tu n'es pas seule, répéta-t-il encore.

— Le bureau, laissa-t-elle alors tomber. »

Il haussa un sourcil ; elle lui montra la fenêtre avec faiblesse. Son air détruit le cloua sur place. « Je suis désolée », débita-t-elle subitement. « Peut-être que le bureau... Non. Je suis désolée. Le bureau. La fenêtre. Vous êtes loin. Je suis désolée. Je suis... » Une larme silencieuse coula sur sa joue, au beau milieu de ses tâches de rousseur.

« J'ai tué... Des centaines de personnes... Et je les vois... Elles sont là, mais... Je suis seule... »

Une crise, devina-t-il, le menton bas. De sourdes secondes sonnèrent dans la pièce. Cette semi-obscurité n'arrangeait rien à l'aura morne qui émanait de la scientifique. Elle est seule, hein. Au bout d'un long silence, Livaï se leva de son siège, souleva son bureau, et ignora l'air surpris de Marion pour le poser devant ce soupirail grillagé.

« Livaï... », tenta-t-elle. Mais il avait déjà fait de même avec sa chaise, et s'affalait désormais dessus, bouquin en main. Seuls trente centimètres le séparaient du lit – et de la patiente au passage. « Mieux ? » lâcha-t-il, ses prunelles claires rivées sur la couverture écaillée de La Petite Histoire des Peuples.

Court mutisme. Il ne se tourna pas vers la chercheuse. Il ne lui jeta pas un coup d'œil. Sa vue restait interminablement happée par ce bouquin... Mais son ouïe, elle, faisait trivialement attention à Marion. Il n'avait pas changé de place pour rien, après tout. Et, enfin, il l'entendit retourner dans ses draps.

Voilà qui est fait..., songea-t-il. Le silence qui suivit lui permit de retrouver la carte sur laquelle il s'était arrêté ; il se figea dès qu'il sentit une légère pression sur sa veste. Il se tourna vers la scientifique avec stupeur, pour écarquiller brièvement les paupières.

Elle venait d'attraper maigrement le bout de son habit, et de se recroqueviller sur elle-même, position dans laquelle elle dormait toujours. Je suis quoi, une peluche ? Il discerna tout juste, au beau milieu de ses boucles châtain, ses lèvres fines s'entrouvrir.

« Livaï... », murmura-t-elle d'une voix ensommeillée. Elle dodelina de la tête, laissa enfin sa joue reposer sur son oreiller, ne lâcha toutefois pas sa prise. « Merci pour tout... »

ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7 : ʜᴏʀꜱ-ꜱᴇʀɪᴇꜱ ! ☜(⌒▽⌒)☞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant