IV - Une crise inédite - Troisième partie

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Amée reparut bientôt avec Alicia, qui tenait entre ses mains un volumineux paquet enveloppé de papier brun :

« Tiens, Aurean, déclara la grande sœur d'Estrella en le lui tendant. Nous avons tout réuni pour que tu puisses débuter sans souci ! J'avoue que j'aime mieux les fleurs dans les vases que dans les albums, mais je suis certaine que tu sauras employer ce matériel ! Mais j'ai une condition, tout de même ! »

Ses yeux gris brillaient d'amusement ; Aurean se doutait de la suite bien avant qu'elle ne poursuive :

« Je tiens à voir cet album rempli quand tu reviendras !

— C'est promis, Alicia ! Merci beaucoup ! »

En vivant à ses côtés pendant plus d'un an, Aurean avait découvert chez la jeune femme des traits positifs que même sa sœur peinait à remarquer. Certes, elle montrait quelques défauts : elle pouvait se conduire de façon frivole, orgueilleuse, parfois un peu égoïste... mais elle était aussi gentille et incroyablement bienveillante. Et surtout, très généreuse. Elle aimait distribuer aux siens des petits cadeaux finement choisis. Même quand Estrella se trouvait cloîtrée à Gallantide, elle lui avait fait parvenir nombre de présents. Toute à son désespoir, sa brune cadette s'était persuadée qu'Alicia avait agi ainsi seulement pour se déculpabiliser de la laisser moisir dans cette campagne perdue. Aurean savait que c'était faux et que son aînée tenait réellement aux siens.

« Merci beaucoup, Alicia, et à vous aussi, madame Amée. Je trouverai sans mal un peu de place dans ma malle pour loger tout cela ! »

À l'idée de déballer le matériel et de l'utiliser, il éprouvait un enthousiasme passionné, alors qu'il avait choisi cette occupation par défaut – ou du moins le croyait-il. Peut-être avait-il, par le passé, manifesté un réel attrait pour les plantes et leurs vertus ? Hélas, rien dans sa demeure de Lucid ne semblait en témoigner.

Aurean rouvrit ses bagages pour ranger tout de suite le précieux présent, une preuve de plus que les d'Outremont le voyaient comme une personne – et pas seulement comme un « gardien de Lucid ». Même s'il n'y pensait pas très souvent, les Trente n'avaient jamais montré la moindre prévenance à son égard. ? Bien sûr, ils connaissaient sa nature ainsi que la place prestigieuse qu'il tenait dans son monde d'origine. À leurs yeux, malgré tout, il était à peine plus qu'un serviteur. Il avait disposé d'un certain confort et mangé à leur table, mais ils lui avaient laissé comprendre qu'ils ne le considéreraient jamais comme un membre de la famille, quand bien même il avait reçu le patronyme de Trente. La violence d'Eveas envers lui, quand il avait voulu lui témoigner ses regrets pour la disparition de son fils, ne l'avait pas vraiment surpris.

À part Bastian – avant qu'il se fasse contrôler par Lizbet d'Arral, du moins –, seul Richer, le frère aîné de son attache, s'était montré courtois et attentif. Malgré tout, il craignait visiblement d'encourir le déplaisir de ses parents s'il manifestait un peu plus de chaleur envers le Gardien.

La naissance d'un Mage des Sept Couleurs dans leur lignée les avait rendus incroyablement arrogants. Quand Aurean avait essayé de les alerter des changements inquiétants qui étaient apparus chez Bastian, Eveas l'avait réprimandé puis lui avait ordonné de rester à sa place. Même si cet épisode appartenait au passé, il en éprouvait encore une profonde tristesse.

« Aurean, est-ce que tout va bien ? » demanda Amée d'un ton préoccupé.

Il s'aperçut qu'il était resté agenouillé à côté de la malle ; il se releva précipitamment :

« Je suis désolé... Juste quelques souvenirs désagréables !

— De ton passage chez les Trente, je suppose... » remarqua Alicia, avec une sévérité inhabituelle.

Light and Dark Erastria - II - Cœurs de lumièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant