Jupiter et Mars

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« Je... »

Le petit garçon se coupa et s'avança vers son aîné recroquevillé contre une bibliothèque. Il ne pleurait plus, mais il gardait la tête enfoncée contre ses jambes. 417 ne savait quoi faire face aux événements. Jamais un grand avait versé des larmes devant lui. Il balada les alentours de droite à gauche comme pour chercher un objet qui pourrait l'aider. Finalement il s'accroupi timidement à coté de son camarade.

« Je ne dirai rien aux autres, jura-t-il. »

517 se releva vers lui. Ses cheveux ondulés lui retombaient sur le front, des rougeurs contrastaient avec ses prunelles sombres, mais il abordait une expression plus calme.

« Merci, lâcha-t-il en se frottant les paupières. Pourquoi t'intéresses-tu à ton ancien toi ? »

Il voulut s'arracher la langue en posant la question ; le sentiment de honte remontait à ses joues. Heureusement, 417 l'encouragea avec un sourire gauche.

« Pour un souvenir de lui..., répondit-il hésitant. Moi, je voudrais que quelqu'un préserve une pensée de moi quand je disparaîtrai. »

L'aîné acquiesça en silence, puis quémanda d'un air rêveur :

« Tu veux bien le faire aussi pour moi ? »

Le cadet promit. Ils restèrent assis un moment avant de reprendre le ménage. Néanmoins, 517 accepta plus facilement la présence du benjamin, et l'épaula même pour atteindre les plus hautes étagères. Enchanté par se revirement, le petit garçon se délivra au fur à mesure de sa timidité. De temps en temps il s'hasardait à l'interroger. Cependant, dès qu'il essayait de s'exprimer, sa voix vacillait et ses pommettes s'enflammaient.

Les deux enfants terminèrent leur tâche en avance. Le plus âgé arpenta soudain le sol sous les lourdes bibliothèques. 417 s'étonna peu du comportement de son collègue, et l'imita croyant continuer sa corvée. Il comprit le but de l'entreprise quand 517 dégota une tapette pleine. Le garçon releva le levier, afin de prendre la souris captive, puis tendit le morceau de chaire à son voisin.

« Essaye d'en trouver quand tu t'occupes de la bibliothèque, lui conseilla-t-il. Prends garde à ne pas être repéré. On ne peut pas leur accorder totalement notre confiance. »

Il désigna d'un signe les salles où se trouvaient les autres enfants. 417, confus, rangea la viande dans sa poche.

« Tu es au courant pour la nourriture du réfectoire ?, s'assura l'aîné.

— Oui... faut pas toucher.

— Pour te nourrir, cherches ta propre nourriture. À la source, précisa-t-il. 

— Tu... Pourquoi tu me le dis pour les souris ?, bafouilla le chérubin.

— Toi tu vas rester encore longtemps ici, expliqua-t-il. Et puis, on m'a chargé de m'occuper de ton cas. »

En vérité il voulait s'excuser pour tout à l'heure, mais surtout, il espérait nourrir un souvenir pour l'avenir. S'il lui transmettait son savoir, alors peut-être qu'il continuera à exister à travers le bambin.

La fouille continua jusqu'à avoir les poches remplies. 

Alors qu'ils allaient conclure la recherche, 417 se figea devant une étagère. Son altitude alerta 517. Il suivit où les yeux clairs de l'enfant se dirigeaient. Ils pointaient en direction d'un bouquin à la couverture bleue.

« Ce livre..., bredouilla le blondinet. »

... Je le connais, finit 517 à lui-même.

L'aîné s'empara de l'ouvrage sous l'expression inquiète du benjamin. Un titre en gras se superposait à une peinture d'un ciel étoilé :

"L'apostrophe du Ciel"- de John et Fred Dostrine

Un frisson les parcoururent lorsqu'ils le déchiffrèrent. Ils se dévisagèrent. Chacun fut rassurés de se trouver dans le même état. Dans un commun accord, ils l'ouvrirent.

" Le système solaire se compose de huit planètes.

La première est Mercure suivie par Venus la planète brûlante, la Terre la planète bleue, Mars la planète rouge, Jupiter la planète géante, Saturne le seigneur des anneaux, Uranus la planète couchée et Neptune sa jumelle. "

L'introduction sur la garde volante était courte. Toutefois elle suffit à happer les garçons. Pendant un court instant, leurs problèmes paraissaient avoir disparu. Malheureusement, un bruit de pas lourds marqua la fin de leur liberté.

517 referma précipitamment le bouquin. Le son s'amplifia ; le Directeur revenait. Sous la panique, il le coinça avec l'élastique de son pantalon, puis le recouvrit avec son haut. Ils rejoignirent les autres enfants pour rétablir un rang. L'homme les scruta un à un, puis contrôla toutes les pièces. Quand il arriva dans la bibliothèque, un ricanement tonna dans l'ensemble des appartements. La respiration de 517 et 417 se stoppa instantanément. Des perles de sueurs froides commencèrent à dégouliner sur leur nuque. Le tyran réapparut paré d'un large sourire déformé. Il se précipita vers eux et empoigna 417. Le petit garçon terrifié se pissa dessus, tandis que 517 se fossilisa devant la scène.

Le Directeur s'amusa de leur réaction et relâcha le benjamin. 

« Vous deux, gaussa-t-il, vous avez toujours été de paire. »

Il arqua un sourcils vers le plus âgé qui ne tremblait plus. L'aîné le regardait droit dans les yeux. La conduite du gamin lui retira son sourire moqueur. L'homme se mouva jusqu'à lui, afin de lui attraper la figure pour mieux l'observer.

« Ne te réveille pas trop vite, avisa-t-il. »

Le pique de pression de 517 redescendit. Il baissa la tête en affichant une mine morne. Les enfants reformèrent le rang, tandis que le directeur déballa un carton. 417 fixait le sol encore apeuré. Ses joues s'embrassaient violemment. L'odeur de son vêtement taché empestait de minute en minute, et gêna les voisins. 517 glissa discrètement sa main dans la sienne. Il discerna les petits doigts se refermer. Le simple contact redonna du courage aux deux gamins. Cependant, quand le Directeur sortit les beaux habits carmins de l'emballage, 417 sentit l'emprise de son ami se resserrer.

Sur les hauts s'inscrivaient des numéros en rouge vif : 503 ; 505 ; 506 ; 507 ; 508 ; 509 ; 510.

L'homme les défila en face des enfants.

« Vous aurez bientôt de nouveaux camarades, venta-t-il. »

Personne ne protesta, personne ne put hausser le regard.

Ils repartirent vers les dortoirs. 517 n'avait pas lâcher la main de 417. Le livre contre son ventre se collait à sa peau à cause de la transpiration. Il le décrocha légèrement en feignant une démangeaison. Que faire de ce bouquin ?, s'interrogea-t-il quand l'ouvrage faillit retomber un peu trop bas...

Le Directeur les quitta quand il rentrèrent dans la vaste salle, où reposaient des centaines d'enfants. Les cinq gamins marchèrent dans les rangées pour trouver leur couche. 517 accompagna le benjamin jusqu'à son lit.

« On a de la chance, murmura le plus jeune.

— C'est clair. J'ai cru mourir d'asphyxie, déclara-t-il à voix basse. »

Ils s'échangèrent un sourire gêné.

« Je n'aime pas les numéros, avoua le cadet. Je veux pas t'appeler 517. »

La déclaration déconcerta le garçon. N°517 n'était qu'un matricule provisoire pour l'identifié. Au final, il ne lui appartenait pas vraiment, tout comme l'habit qu'il revêtait ou la couche qu'il occupait.

« Difficile de faire autrement, souligna-t-il tristement.

— Jupiter, chuchota-t-il. La cinquième planète du système solaire. Tu veux pas ?

— Alors tu seras la quatrième : Mars, baptisa-t-il. »

Dark Tale épisode 1 : La ferme d'enfantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant