Un semblant d'idée

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"Jupiter" se répéta l'enfant en serrant le livre contre sa poitrine.

L'obscurité l'entourait. La respiration des autres enfants comblait le vide de la pièce. L'atmosphère, aux premiers abords lugubre, le replongea dans le calme. Les craintes et l'excitation redescendirent pour faire place à la fatigue. Il s'engouffra dans les draps pour dormir, mais en se retournant, il remarqua les couches vides de 502 et 504.

Il sut qu'il ne les reverrait plus. Elles s'étaient à jamais éclipsées.

L'image des vêtements rouges lui revînt avec un haut-le-cœur. Une pression comprima son ventre à moitié vide. Il attrapa une souris pour faire passer la douleur. Mais le baume resta temporaire ; car déjà son anxiété remontait.

Non, se disait-il en s'enfonçant dans son oreiller. Il ne souhaitait plus assister à de nouvelles disparitions. Aujourd'hui, le livre et Mars venaient de lui prouver un fait important : le Directeur ne pouvait pas tout contrôler. Peut-être qu'il existait un moyen... au moins un unique moyen de quitter ses endroits ? Il frissonna en imaginant cette hypothèse. S'il existait un seul ou plusieurs, alors il le trouverait.

Il ne laissera pas Mars, 508 et 601 disparaître ou mourir ici. 

Il s'endormit avec cette tendre pensée.

Le lendemain, l'enfant s'éveilla plus tôt que ses camarades avec une migraine. Il se massa les tempes, puis se remémora doucement les événements de la veille.

L'apostrophe du Ciel

Il tâta machinalement le lit à la recherche de l'ouvrage. Son absence le sortit entièrement des vapes. Il se précipita hors de la couche. Un soupir de soulagement lui échappa quand il l'aperçut sur le sol. Il le cacha à nouveau dans son pantalon, puis remonta. Il comprit vite qu'il ne pouvait pas garder sur lui le livre. Si par malheur il tombait pendant que les autres regardaient, il ne donnait pas cher de sa peau.

Le Directeur pénétra dans la chambre pour sonner le réveil.

"Le travail est notre richesse.", marqua une nouvelle fois la matinée. Jupiter sentit sa rage se bloquait dans sa gorge quand il la prononça pour la millième fois.

Ils descendirent par tranche à l'extérieur. Le garçon discerna Mars en bas des escaliers. Il espéra voir l'enfant le saluer, mais la foule l'obligeait à marcher tout droit. Ils se divisèrent pour aller dans les champs.

« 517, tout va bien ?, s'inquiéta 508 en remarquant son expression sombre. »

Il ne comprit pas directement qu'elle s'adressait à lui. Le numéro lui parut complètement ridicule. Il prétexta la fatigue pour ne pas l'affoler, mais son n'amie ne le crut pas.

« Tu as l'air soucieux, releva-t-elle. Plus que d'habitude. »

Tu vas bientôt recevoir ton habit !, lui cria-t-il intérieurement. Il retînt la phrase de toutes ses forces. Il ne lui rendra pas service en lui avouant. Elle devait rester dans l'ignorance jusqu'au bout. Il allait trouver une solution. La solution. Il n'avait pas le choix.

Ses réflexions se stoppèrent nettes. Il dévisagea son amie, puis interrogea hésitant :

— Tu n'as jamais penser partir loin ? »

Elle lui plaqua les lèvres pour le faire taire.

« Tu es devenu fou ? Ne parle pas de t'écha... de ça. »

Il s'excusa et partit pour quérir de l'eau. Son corps lui parut lourds... Même s'il imaginait un plan infaillible, elle risquait de ne pas le suivre. Il ne parvenait pas à admettre qu'elle s'était résignée à sa disparition. Le garçon se jura de ne pas lui en parler, jusqu'à ce qu'il trouve un moyen efficace de la persuader et de s'échapper.

 601 était assis sur le rebord du puits. Il paraissait attendre sa venu. Personne d'autre se trouvait au alentour.

« Tu vas bientôt mourir, lâcha-t-il en l'apercevant. » 

Jupiter feignit l'indifférence.

« On ne t'a jamais appris que rêver de liberté pouvait tuer ?, continua le gamin.

— L'enseignement d'une courte vie, ironisa-t-il à la remarque de son camarade.

— La vie est insignifiante, déclara son ami en lançant le seau dans le puits. On naît, on travaille, on disparaît. Si simple, si dure. »

Il remonta le lourd récipient.

« Si tu veux te moquer de moi c'est raté, souligna Jupiter en l'aidant pour hisser. Ça ne m'atteint pas. Après tout le travail est notre richesse. »

À peine eut-il terminé sa phrase, qu'il reçut un grand coup dans les côtes qui le propulsa à terre. Il laissa filer un cri sous la douleur, et lâcha la corde. De l'eau se déversa sur lui. Un mélange de sable mouillé se mêla dans ses cheveux et l'aveugla. Malgré le picotement, il put discerner son camarade se jeter sur lui. 601 l'attrapait le col de son haut pour le remonter vers lui, puis le plaquait contre le sol. La vive colère qui le contrôlait ne semblait pas vouloir s'estomper.

« T'es vraiment qu'un sale con, insulta-t-il. J'la hais cette phrase. Elle est moche. »

Jupiter, interloqué, fixa son cadet ; il crut voir sur le visage du dernier un semblant de rage et de larmes.

« Aujourd'hui j'me suis réveillé un peu avant l'aube, trembla son agresseur. Tu dormais encore. J'ne voyais pas grand chose car nos couches sont trop éloignées. Mais le truc j'l'ai vu. T'avais l'air paniqué quand tu t'es éveillé. Tu cherchais le truc. Qu'est-ce que tu fous ? Tu agis bizarrement depuis quelques temps, mais là c'est au-dessus ! Le pire c'est que tu me dis plus rien... T'es qu'un sale con... »

Il se redressa pour le libérer. 601 ne connaissait pas beaucoup de gros mot, mais "con" faisait parti de son vocabulaire, catégorie vulgaire.

« Je suis déjà inquiet pour 508... alors n'en rajoute pas sale con. T'es dans l'embarras avec ton truc. »

Jupiter voulait intervenir, mais aucun mot ne put sortir. Que pouvait-il lui soumettre ? La vérité ? Il la connaissait, comme tout le monde. 

« Vous me laissez seul, balbutia son ami. »

Oui. Il la connaissait bien.



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⏰ Dernière mise à jour : Jul 10, 2019 ⏰

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Dark Tale épisode 1 : La ferme d'enfantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant