Chapitre 2

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La police s'est donnée trois jours pour retrouver le corps de ma jumelle dans l'immensité de la mer.
Trois longs jours rythmés par le silence de mes parents. Rythmés par les médias qui profitent de cette histoire pour faire tomber les membres de mon groupe favoris. Rythmés par ma colère et ma tristesse.
Je ne suis pas encore sortie de ma chambre depuis ce jour-là. Je n'ai pas pleuré non plus.
Je ne suis pas triste pour Jade. Je sais qu'elle est heureuse là où elle est. Je suis triste pour tout le reste. Triste de ne pas avoir eu le courage de la suivre. Triste d'avoir assisté à son départ sans rien faire. Triste de ne pas être resté auprès d'elle ce matin-là.
Ma mère est entrée sept fois dans ma chambre depuis. Pour me dire de couper cette musique infernale qui tourne en boucle. Pour me dire qu'elle ne veut plus jamais les entendre. Pour me dire qu'elle va tout faire pour que, plus jamais, leurs musiques ne causent la mort d'une enfant.
D'une enfant, pas de son enfant, pas de sa fille, pas de sa Jade. Non, d'un enfant. D'un quelconque inconnu qui traîne un peu trop dans ses pattes.
La septième fois, j'ai pris mon téléphone et j'ai appelé la première chaîne de télévision qui incriminait aussi ces personnes que j'aime tant.
Et j'ai exprimé ma rage pour la première fois.

- Je suis Maxine Emera, la sœur de la suicidée. Laissez les BTS en dehors de ça. Arrêtez de salir leur image, car sans eux, ma sœur serait partie depuis longtemps et moi, je ne serais pas là pour vous faire ce discours.

J'avais raccroché sans même savoir si quelqu'un m'avait écouté. Mais en voyant une photo de moi au journal télévisé le lendemain, j'ai compris que mon message était passé et que, malgré tout ce que mes parents pourraient essayer de faire pour ternir l'image de mes idoles. Ils n'arriveront à rien. Plus maintenant. Et cette vengeance est venue se loger au fond de ma gorge, comme un peu de joie dans l'amertume de ces derniers jours.

Au bout du quatrième jour, mes parents sont allés choisir un cercueil pour son enterrement. Un cercueil qui sera vide sous la terre du cimeterre chrétien de ma ville.
Le cinquième jour est celui de la cérémonie. Dans l'église, beaucoup de monde pleure aux dires du prêtre. Des oncles, des tantes, des cousins éloignés. Personne ne l'a connaissant. 

J'ai mis sa robe bleu marine, celle qu'elle aimait mettre aux grandes occasions et sur mes genoux, je sers son tee-shirt, celui qu'elle m'a demandé de porter ce jour-là. 


Après le speech du prêtre, c'est mon père qui s'est exprimé. Il nous a remerciés d'être présents avant de raconter un souvenir pour émouvoir la foule. Un souvenir du jour où elle a coupé ses longs cheveux châtains toute seule parce qu'elle voulait pouvoir grimper aux arbres sans s'en soucier.
Sauf que ce n'est pas Jade qui a fait ça à six ans, c'est moi. Quel père confond encore ses deux filles dix-huit ans après leurs naissances ? Le miens est idéal dans ce rôle.
Ma mère a aussi prit la parole, mais je ne l'ai pas écouté, pourquoi le faire après-tout. Je suis la seule qui pourrait réellement lui rendre hommage. 


Il ne pleut plus lorsque le cercueil vide prend la direction de sa future place au sein du cimeterre. Je suis en tête de peloton, ma main droite tenant fermement mon tee-shirt et ma main gauche mon téléphone.
Au moment de le mettre en terre, le prêtre a demandé à mes parents s'ils voulaient jouer une musique comme ultime au-revoir. Ils ont dit non, alors j'ai enclenché moi-même un morceau depuis mon téléphone. Ce morceau, le dernier qu'elle a écouté.
Mais avant même qu'Agust D ne prononce les premières paroles de son rap, la main de ma mère est venue s'écraser sur ma joue droite avec une violence sans nom. Ce n'est pas la première fois que je me fais gifler, mais à cette claque se mêle également la force des non-dit qu'elle essaye de cacher, et c'est ça qui fait le plus mal.
Mon téléphone est tombé et le haut aussi, la musique s'est coupée et je me suis éloignée en lançant un regard de défi à ma mère, mais elle n'a rien fait pour me retenir. Pas un seul membre de ma famille ne l'a fait. Jade l'aurait fait elle, non, elle serait partie avec moi.

J'avance pour quitter cet endroit, sur le parking, de nombreuses voitures de police côtoient celles de ma famille, afin d'éloigner de possibles journalistes. Mes parents doivent être heureux d'une chose, leur nom fait le tour du monde.
Je pose ma main droite sur la lourde porte en fer, bien décidé à m'éloigner le plus possible de ce lieu quand quelque chose attrape ma main. Quelque chose de froid.
Je me retourne, mes yeux fixant le sol, quand quelque chose entre dans mon champ de vision, la personne m'ayant retenu me tends le tee-shirt légèrement sali par la boue et mon téléphone.
Je lève la tête pour remercier cette personne, mais mon regard rencontre un visage recouvert d'un masque, d'une paire de lunettes de soleil et d'une capuche. Qui porte ce genre d'accoutrement en pleine campagne normande où la pollution et le soleil sont presque constamment absent ?

- Merci. Dis-je simplement en récupérant mes affaires et alors que je m'apprêtais à lui tourner le dos pour reprendre mon chemin, il retire ses lunettes et son masque et je le reconnais immédiatement.

- Je voulais vraiment te parler. S'exprime-t-il en coréen, sa langue maternelle. Tu veux bien qu'on aille ailleurs ?

Sur le coup de la surprise, je ne trouve rien à lui dire et me contente de hocher la tête. Il se saisit de ma main et me guide jusqu'à une voiture noir aux vitres teintées. Il m'invite à monté à l'arrière et vient s'asseoir à côté de moi. La voiture se met alors en branle, probablement conduite par un chauffeur en costume et il pose une main timide sur mon genou.

- Je suis honoré de pouvoir te rencontrer Maxine. Dit-il timidement avant de croiser ses bras sur son torse.

C'est moi qui devrais dire ça, mais je ne peux rien faire de plus que de fixer Suga de mon regard perdu alors que nous nous éloignons de plus en plus de la sépulture de ma sœur. 

Live (BTS FF)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant