Chapitre 9

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La retrouver

Maël

Je l'avais retrouvée. Ça faisait des années que je la cherchais, que je n'en dormais plus la nuit, que le mystère qui l'entourait me rendait malade, au point de ne plus pouvoir penser à autre chose qu'à cette femme, cette gamine de vingt ans à cette époque, ce monstre qui m'avait privé de joie, qui avait transformé ma vie en cauchemar, qui m'avait brisé de toutes parts. Désormais, elle se tenait en face de moi, elle n'était pas vraiment comme je l'avais imaginée dans l'obscurité de mon esprit torturé, elle ne ressemblait pas au monstre qui hantait toutes mes pensées, pas de griffes, pas de crocs. Une femme, seulement une femme.

Elle se tenait sur le parking des urgences, une cigarette à la main. Elle s'éloigna légèrement des portes, pour ne pas être vue par les patients ou le personnel médical et se cacha des regards indiscrets en s'adossant au mur sur la droite. Je l'observais, tapi dans l'ombre, comme un prédateur observerait sa proie avant de bondir sur elle. Elle était bien frêle pour une meurtrière, bien frêle pour la créature maléfique que j'avais traquée sans relâche depuis cinq ans. C'en était presque décevant de ne pas trouver le monstre tant redouté mais une jeune femme dont la chevelure brune était remontée en un chignon négligé au-dessus de sa nuque, dont le regard était aussi sombre que mon âme et mes désirs, dont la silhouette paraissait si fine et délicate.

Un homme parvint à sa hauteur et s'arrêta à quelques mètres à peine d'elle. Il commença à gesticuler étrangement, soufflant comme un bœuf, se pliant comme s'il souffrait d'un quelconque mal. Il posa ses mains sur son ventre et respira encore plus fort pour attirer l'attention de la jeune femme qui ne manqua pas de se précipiter vers lui pour lui venir en aide. Quelle naïveté ! La comédie de ce type ne m'avait absolument pas dupé et voilà qu'elle tombait dans le panneau sans la moindre hésitation. Je la vis courir vers le mec, le toucher pour le redresser et tenter de comprendre la provenance de sa douleur, le visage déformé par une inquiétude sincère qui me surprit. Elle paraissait vraiment soucieuse de la santé de ce parfait inconnu, au point de ne pas avoir pris le temps de la réflexion avant d'offrir à cet homme l'occasion parfaite pour l'agresser, à l'écart de l'entrée de l'hôpital, à l'écart des regards, loin du monde, si proche du danger.

C'était donc ça ma meurtrière ? Ce bout de femme fragile qui secourait des ivrognes ou des tordus dès qu'elle en avait l'occasion ? Il y avait une erreur de casting. Cette femme ne pouvait pas être celle que j'avais tant recherchée. Ça ne collait pas. Je regardais, impassible, le manège se jouer sous mes yeux, attendant patiemment l'instant où il faudrait intervenir pour dégager le type. Je n'avais aucun doute sur ses intentions, il était évident qu'il voulait la sauter. Mon intuition se révéla exacte, il la plaqua au sol sans ménagement et dégaina une lame qu'il lui colla sous le nez pour la dissuader d'hurler. J'aurais peut-être dû le laisser faire. Après tout, j'étais venu pour lui faire du mal, il aurait tout aussi bien pu faire l'affaire avec son couteau et ses pulsions de taré. Mais je n'avais pas réussi à rester indifférent à la peur qui émanait de cette fille. Elle s'était si bêtement trompée en voulant secourir cet homme que je trouvais le stratagème un peu trop simple pour permettre à ce mec d'aller au bout de son plan. Puis voir sa gueule satisfaite de tenir entre ses griffes une proie fragile qui n'avait même pas eu l'occasion de lutter : ça me paraissait trop inégal.

Je me précipitai, les poings serrés, une étrange colère bouillonnant dans mes veines. Le type n'opposa aucune résistance, il tremblait presque lorsque mon visage s'approcha à quelques centimètres du sien, c'était tellement plus difficile de s'imposer face à un homme ! Je croisai brièvement le regard de Gabrielle, mes nombreuses recherches m'avaient appris son prénom, même si je m'efforçais depuis à ne pas la nommer ainsi pour lui enlever toute dimension d'humanité. Elle était seulement « le monstre » pour moi. Celle qui m'avait arraché ma famille. Pourtant, lorsque ses yeux se posèrent sur moi, que ses pupilles se braquèrent sur mon visage, ma volonté vacilla quelques secondes, ma colère retomba brutalement et je dus fournir un effort pour me détourner de ces yeux-là, ces yeux aussi sombres qu'un ciel nocturne, aussi sombres qu'un dédale où il serait si aisé de se perdre, ces yeux qui me regardaient comme un sauveur, emplis d'admiration et de gratitude. A cet instant, elle paraissait si innocente que l'image de la meurtrière disparut pour laisser place à celle de la femme : sensuelle, envoûtante, désirable. Une collègue de travail se précipita vers elle pour l'entraîner à l'intérieur de l'hôpital, je la vis disparaître derrière les portes coulissantes.

Lorsque Gabrielle pansa mes plaies avec douceur, je ne pus ignorer le malaise qui flottait dans la pièce. Elle avait du mal à poser les yeux sur moi, du mal à toucher ma peau, l'instant était troublant. Le désir de vengeance qui m'animait bouillonnait toujours en moi mais quelque chose de contradictoire s'amusait à le mettre à mal sans que je ne puisse vraiment identifier la raison de mon hésitation.

— Voilà, c'est fini, me dit-elle.

— Si vous ne veniez pas d'être agressée, je vous aurais allongée sur ce lit pour vous faire l'amour. Vous êtes très désirable et j'ai très envie de vous.

Les mots jaillirent de ma bouche et l'air outré qu'elle adopta me fit sourire. Décidément, mon monstre était bien naïf et impressionnable ! C'était si simple de la déstabiliser. Il me suffirait certainement de peu pour la briser. J'avais envie de jouer avec elle, de prendre mon temps, de la connaître avant de la faire plier. Je me dirigeai vers elle, enroulai mes doigts autour de son cou gracile et attendis une réaction de sa part. Son corps frémit mais elle ne me repoussa pas. J'attrapai alors ses poignets pour les bloquer au-dessus de sa tête et l'observai dans cette position, à ma merci, complètement désarçonnée par mon attitude. Elle devenait une nouvelle fois une proie facile entre les mains d'un homme. Le monstre que j'avais imaginé ne pouvait pas être aussi faible. Je voulais qu'elle se débatte, qu'elle me prouve que je n'avais pas fait fausse route, que j'avais eu raison de la considérer comme dangereuse et nuisible. Elle eut enfin la réaction tant attendue, cette garce planta ses griffes dans ma plaie pour la rouvrir et la faire saigner. J'aurais dû la maudire pour cette nouvelle souffrance infligée et pourtant, mon cœur resta sourd à la haine qui dormait en lui. Je retirai mon pull et ses yeux parcoururent mon torse. Ce fut comme une brûlure. Ma peau n'avait pas besoin de sentir le contact de ses doigts pour s'enflammer, ses yeux suffisaient. Bordel, je l'aurais volontiers allongée sur ce foutu lit si seulement je ne me devais pas la haïr. Gabrielle s'attarda sur mes tatouages, puis sur mes cicatrices. Elle voulut me questionner mais je la coupai dans son élan. Hors de question de rentrer dans les confidences ma belle ! C'était encore beaucoup trop tôt.

Le lendemain de ma rencontre avec Gabrielle, je ne fus pas pressé de me rendre à ma séance psy hebdomadaire. Ça faisait des années que le Docteur Lanolio me suivait et, très franchement, j'avais l'impression de pédaler dans le vent. Je ne progressais pas, mes tourments n'étaient en rien apaisés par ces séances de parlote qui me paraissaient bien inutiles pour effacer le drame qui avait touché ma famille. J'avais plusieurs fois hésité : continuer ou mettre fin à ce cirque ? Puis finalement, le défi l'avait emporté. J'avais seulement envie de prouver à ce psychologue que le seul remède, c'était Gabrielle qui le détenait. Il fallait seulement que je la retrouve et que je laisse mon imagination faire pour assouvir la vengeance tant désirée. Elle m'avait arraché mes parents et mon frère, elle devait payer pour ça, d'une façon ou d'une autre, il fallait qu'elle souffre.

Kill me, babyWhere stories live. Discover now