Chapitre 11

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Un conseil

Lucie décrocha à la première sonnerie, elle était essoufflée et sa voix peinait à être régulière. Elle faisait son jogging matinal mais même en cette occasion, elle ne manquait jamais un appel de sa meilleure amie. D'autant plus qu'elle était partie comme une voleuse le lendemain de la soirée avec Franck et qu'elle devait des excuses à Gabrielle.

— Pourquoi tu ne m'as pas réveillée ? demanda Gabrielle, quelque peu agacée.

— J'ai voulu te prévenir mais Franck s'est éloigné pour discuter avec le beau brun, là tu sais, le mec vraiment trop sexy qui semblait plus qu'intéressé par toi et quand il est revenu vers moi, il m'a convaincue de te laisser dormir. J'ai cru bien faire moi ! Ce n'est pas comme si je t'avais laissée avec le type le plus repoussant du coin non plus. Puis tu as vu sa baraque ? Sérieux Gaby, t'es chiante à être aussi coincée, pouffa Lucie en ralentissant sa course. ;

— Moi je suis coincée ? Moi ?! Non mais je rêve, tu te barres comme une voleuse, tu me confies à une espèce de psychopathe et tu ne m'appelles même pas pour savoir si je suis encore en vie. T'aurais été bien embêtée si on avait retrouvé mon corps planqué dans les bois ma grande !

— Gaby arrête de lire. Tu deviens complètement parano. Tu ne risquais rien, Franck le connaît bien apparemment.

— Ben voyons ! Je vais l'appeler celui-là et il va entendre parler de moi, tu vas voir ! Bon je te laisse, c'était juste pour te dire que j'étais encore vivante. Faut que j'aille bosser. On se voit demain soir ?

— Oui sans faute. Tu sais où me trouver ma belle. Attends, ne raccroche pas. Dernière question. Dois-je en conclure qu'il ne s'est rien passé avec le bel apollon ?

— Tu m'exaspère Lucie.

Gabrielle raccrocha en riant. Il était hors de question qu'elle assouvisse la curiosité de son amie. Elle avait bien envie de la faire cogiter un peu, juste pour se venger.

La nuit n'avait pas réussi à effacer la troublante discussion qu'elle avait eue avec Maël. Gabrielle avait beau essayer d'oublier, elle avait seulement l'impression de se battre contre des moulins à vent. Rien n'y faisait, il revenait sans cesse hanter son esprit. A cette obsession déjà bien difficile à supporter s'ajoutait l'état de Lucie qui commençait sérieusement à l'inquiéter. Son amie lui semblait encore plus fragilisée qu'avant, malgré les années écoulées. Lucie aurait dû consulter un spécialiste comme elle l'avait fait. On ne pouvait pas sortir indemne d'un tel accident, encore moins lorsqu'il avait coûté la vie à trois personnes. Il faudrait qu'elles aient une bonne discussion à ce sujet. Gabrielle ne pouvait plus se taire et faire semblant, les choses finiraient par déraper si elle ne mettait pas Lucie face à l'évidence. Il était vrai que Gabrielle fuyait la conversation lorsque son amie essayait d'évoquer le passé mais la plaie était encore ouverte, béante et sanguinolente. Il y avait eu tant de secrets, tant de mensonges autour de cette histoire qu'il lui semblait bien difficile d'en parler sans en souffrir profondément. Même si l'affaire avait été classée et qu'aucune charge n'avait été retenue contre elle, l'oubli lui était impossible. Lucie et elle devraient vivre avec cette blessure jusqu'à la fin de leur vie. Avec leur mensonge aussi...

Ce jour-là, Gabrielle se donna corps et âme à son travail, enchaînant les patients à un rythme effréné, ne prenant même pas le temps de souffler lors d'une pause. Le manque de personnel rendait la situation de plus en plus compliquée et nombreux étaient ceux qui commençaient à montrer des signes d'épuisement intenses. Son métier n'était pas évident mais la vocation la portait encore suffisamment pour qu'elle ne baisse pas les bras devant toutes les difficultés. Ses collègues de travail lui apportaient un certain équilibre et s'occuper des autres, un certain apaisement. Elle avait toujours du mal lorsque l'hôpital devait accueillir en urgence des blessés de la route, cela la renvoyait toujours à ses propres démons mais il fallait faire avec, avancer coûte que coûte. Lorsqu'elle s'arrêta déposer un dossier sur le coin du bureau de Louise, cette dernière l'interpela en lui demandant de rester deux minutes.

— Nous sommes débordés aux urgences, s'excusa Gabrielle en se dirigeant vers la porte.

— Juste deux minutes. J'ai quelque chose pour toi.

Louise lui tendit une carte de visite, lui laissa le temps de la consulter puis attendit sa réaction.

— Pourquoi tu me donnes ça ? questionna Gabrielle, dubitative.

— Après l'agression de l'autre soir, je me suis dis que ça faisait peut-être beaucoup pour toi. Tu sais, ça et l'accident dont tu m'as parlé...Bref, je te conseille d'y réfléchir, il paraît qu'elle est douée pour tout ce qui est événements traumatiques, expliqua Louise. Tu sembles un peu trop dans tes pensées ces derniers temps.

— Tu trouves que je fais mal mon travail ?

— Non Gaby, tu le fais trop bien, c'est peut-être ça qui m'inquiète le plus. Tu devrais arrêter de ne penser qu'aux autres et essayer de prendre aussi soin de toi. Tu le mérites. Il serait temps d'arrêter de te flageller. Va voir cette spécialiste. Elle peut t'aider.

Gabrielle hocha la tête et murmura des remerciements avant de quitter la pièce. Elle savait que le geste de Louise partait d'une bonne intention, qu'elle ne voulait que l'aider mais comment lui dire qu'elle n'était pas la seule à avoir besoin d'aide ? Comment lui dire qu'elle ne connaissait pas toute la vérité et que ce mensonge-là, elle ne pouvait le révéler à personne, pas même à une psychologue ? C'était beaucoup trop risqué et elle refusait l'idée-même de devoir relancer la machine infernale judiciaire qui ne manquerait pas de refermer ses crocs sur elle et Lucie.

Pourtant, au fil de la journée, le conseil de Louise commença à creuser un petit trou dans l'esprit de Gabrielle, un trou qui ne cessa de s'élargir progressivement pour devenir, finalement, un but, un objectif, un espoir. Et si l'idée n'était pas si mauvaise après tout ? Si parler pouvait leur faire du bien ? Elle pourrait essayer de convaincre Lucie de l'accompagner et, ensemble, peut-être sauraient-elles surmonter ce drame ? Elle n'avait encore jamais essayé une thérapie à deux. Bien sûr qu'elles avaient été encadrées à la suite de l'accident mais deux ou trois séances seulement, l'une après l'autre, sans pouvoir unir leur voix et leur chagrin dans un discours commun qui aurait pu être salvateur. Elles ne diraient pas tout évidemment, non, cela était impensable, mais elles en diraient suffisamment pour espérer obtenir des résultats. Il fallait tenter ! Un regain d'énergie permit alors à Gabrielle d'achever sa longue journée, un mince espoir de voir enfin le bout du tunnel resta vivace dans sa poitrine jusqu'à la tombée de la nuit. Une fois rentrée chez elle, elle s'endormit, pour la première fois depuis cinq ans, sans sueur, sans tremblement et sans larme. Elle allait suivre le conseil de Louise, elle allait se battre et elle allait s'en sortir, avec Lucie !

Kill me, babyWhere stories live. Discover now