Chapitre 10

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Divan et confidences

Maël

Le Docteur Lanolio ouvrit la porte et s'effaça pour me laisser entrer dans son cabinet. Une vaste pièce aux murs d'une blancheur irréprochable, de lourds rideaux bordeaux encadrant les grandes fenêtres, de légers voilages blancs entre chaque rideau, un lustre noir évoquant la forme d'un lotus renversé, un fauteuil en cuir noir à l'assise large et confortable puis une sorte de banquette sur laquelle les patients pouvaient s'installer pour déballer leurs étants d'âme et leurs conneries afin de soulager leur pauvre conscience meurtrie. Je pris place sur le divan comme à mon habitude et je rivai mon regard sur le sien en esquissant un sourire triomphant. Elsa Lanolio était mal à l'aise, comme à chaque fois qu'elle devait m'accueillir dans son cabinet. Ses traits devenaient plus tendus, ses yeux se plissaient, elle levait le menton en prenant soin d'éviter mon regard mais son air pincé ne trompait personne et surtout pas moi. Bien au contraire, son attitude qui se voulait professionnelle et désinvolte m'amusait beaucoup. Elle s'installa sur son fauteuil, croisa les jambes et les bras sur sa poitrine en s'éclaircissant un peu la voix avant de me demander :

— Comment allez-vous aujourd'hui Maël ?

Je levai un sourcil interrogateur sans la quitter des yeux pour la pousser dans ses retranchements. Plus elle était gênée, plus je me délectais de la situation.

— Ainsi, nous revenons au vouvoiement ? demandai-je en appuyant mes avant-bras sur mes cuisses. Seriez-vous déstabilisée Docteur ?

Elsa se redressa contre son fauteuil comme pour s'éloigner au maximum de ma petite personne et me jeta un regard noir.

— Nous avions convenu de ne plus en parler, répondit-elle sèchement. Vous ne tenez pas vos promesses Maël. C'était une mauvaise idée de programmer une nouvelle séance. J'ai commis une énorme erreur et je le regrette, vous devriez faire appel à un autre spécialiste.

Je ris. Tout de suite les grands mots ! Elle m'avait sorti les mêmes inepties en quittant mon lit la semaine dernière. Elle avait évoqué une trahison envers son propre métier, un non-respect du code déontologique, un manque d'éthique inadmissible, elle s'était répandue en excuses bafouillées entre deux larmes en essayant de fuir au plus vite ma chambre.

— Je n'aurais jamais dû céder à tes avances, avait-elle dit en se rhabillant au plus vite, encaissant sa gueule de bois comme elle le pouvait.

Nous nous étions rencontrés dans un bar la veille, j'étais venu avec une bande de potes, elle, avec une amie. Le Docteur Lanolio était une femme séduisante, la trentaine, l'air coincé, bon chic bon genre, une élégance discrète et traditionnelle, des allures de petite bourge qu'on a envie de décoincer. Je n'aurais jamais cru possible de croiser ma psy dans un tel endroit mais puisque le hasard m'avait mis sur sa route, je ne voyais pas pourquoi me priver. Après quelques verres, elle était tombée dans mes bras sans opposer la moindre résistance, me suppliant presque de la ramener chez moi. Si elle regrettait nos ébats, je ne pouvais pas en dire autant. La nuit avait été mémorable, Elsa cachait bien son jeu sous son air sérieux et pimbêche.

— Bien, concédai-je, je n'en parle plus. Promis, ajoutai-je en posant une main sur mon cœur dans un geste théâtral qui lui arracha un demi-sourire. Alors, pour répondre à votre question initiale, je vais bien.

Une lueur d'espoir étincela dans les yeux d'Elsa. Lueur qui s'assombrit aussi rapidement qu'elle s'était allumée lorsque j'ajoutai :

— J'ai retrouvé « mon monstre ». Elle est infirmière, entièrement dévouée aux autres, complètement naïve et totalement à l'opposé de l'idée que j'avais nourrie. Mais je l'ai retrouvée et ça, c'est une victoire.

Elsa se raidit une nouvelle fois, menaçant clairement de manquer d'air. Elle me dévisagea quelques secondes sans rien dire, muette, visiblement abasourdie par ce que je venais de lui révéler. Elle décroisa ses jambes, frotta la paume de ses mains contre ses cuisses dans une espèce de tic nerveux assez risible puis finit par briser le silence :

— Je vous accompagne dans votre deuil depuis presque quatre ans Maël, souffla-t-elle en relâchant ses épaules, mais j'ai l'impression que toutes nos séances restent vaines. Je vous avais demandé de laisser cette jeune femme tranquille. La retrouver ne vous aidera pas à guérir. Lui faire du mal non plus. Vous ne trouverez jamais la paix en agissant de la sorte, j'espère que vous en avez conscience. Vous perdez votre temps dans une quête que vous pensez juste mais vous faites fausse route. Vous vous éloignez toujours un peu plus du but à atteindre. Oubliez Gabrielle, elle n'est pas « votre monstre ». Les seuls monstres qui vous entourent, ce sont vos souvenirs, votre colère, votre haine et votre incapacité à accepter les choses pour avancer. Vous reportez toute la faute sur une autre parce que vous vous sentez coupable, coupable d'être celui qui a survécu au drame !

Elsa perdait peu à peu le contrôle de ses nerfs et de sa voix. Je pouvais percevoir, dans les notes aigues qui s'échappaient d'entre ses lèvres, de la peur. Elle n'était plus inquiète pour moi, elle l'était pour Gabrielle. Sa réaction suscita en moi une certaine jubilation. Elsa me connaissait désormais mieux que personne et elle semblait tout à fait consciente des actes que je pouvais commettre pour assouvir ma soif de vengeance et apaiser la colère qui brisait mon corps et mon cœur, avec un peu plus de violence chaque jour.

— Je rêve ou vous êtes en train de me crier dessus ? demandai-je, amusé. Je ne vous savais pas si passionnée Docteur. Enfin, dans un cadre professionnel, en privé, vous avez déjà fait vos preuves.

Elle se leva d'un bond en poussant un petit d'exaspération et pointa un doigt accusateur dans ma direction.

— Alors écoutez-moi bien maintenant, s'emporta-t-elle en se rapprochant de moi, le visage déformé par la colère, je vous interdis d'évoquer encore une fois ce que nous avons fait, j'étais ivre et franchement vous n'avez pas de quoi être fier ! Si vous continuez à jouer à ce petit jeu malsain avec moi, je vous raye de la liste de mes patients et vous vous démerderez tout seul puisque de toute façon, vous n'écoutez jamais rien et que tous mes conseils vous paraissent inutiles. Ensuite, si vous vous en prenez à cette femme, je vous préviens Maël...

Alors que son visage n'était plus qu'à quelques centimètres du mien, je ne pus résister à la tentation de la faire taire. Je me levai, passai ma main derrière sa nuque et l'attirai vers moi, la coupant dans son discours menaçant et moralisateur. Elle tenta de fuir mon emprise mais lorsque je saisis ses cuisses pour la soulever avant de la reposer sur son bureau, sa volonté montra quelques signes assez évidents de faiblesse. Je m'agenouillai entre ses jambes relevées tandis qu'elle glissa ses doigts dans mes cheveux en me murmurant d'arrêter alors que tout son corps m'intimait l'ordre de continuer. Je souris en cherchant son regard.

— Je n'aime pas beaucoup l'autorité, lui dis-je sans la quitter des yeux. Généralement, c'est moi qui suis aux commandes. Je te montre, Elsa ?

Sa tête fit non mais ses lèvres acceptèrent l'invitation dans un « oui » à peine audible. Je fis glisser sa culotte le long de ses jambes sans même prendre la peine de lui retirer sa jupe cintrée et mon visage disparut entre ses cuisses. Deuxième manquement à l'éthique ma chère Elsa !

Kill me, babyWhere stories live. Discover now