FRUITS & FLEURS 🌹 namjin

⁷ ❀ Le supplice de Tantale

– Namjoon... Viens danser avec moi.

Ce n'était pas une question. Ni un ordre.

On aurait plutôt dit des paroles jetées dans un souffle, sur un ton indécis, qui hésitait entre l'injonction timide et la prière. Des mots qui avaient été ressassés mille fois, et qu'on avait l'impression qu'on n'arriverait jamais à dire. Sauf quand on arrêtait de réfléchir, et qu'on se jetait enfin à l'eau.

Cette attitude ne correspondait pas à Jin.

Aussi, Namjoon crut qu'il avait mal compris.

– Comment ?

Jin se pinça les lèvres, nerveusement, et embrassa du regard les hommes qui retournaient sur la piste de danse, alors que le DJ reprenait sa place derrière ses platines.

– J'ai... envie de danser... Tu viens avec moi ? reformula-t-il d'une voix plus incertaine encore.

Namjoon écarquilla les yeux. Oh non... Après la photo, la danse. Jin le mettait vraiment à l'épreuve.

– Ah, je... Je sais pas danser..., avoua-t-il, soudain fasciné par le sol.

Des années plus tôt — huit ans ? neuf ans peut-être ? avant la grossesse de Dara en tous cas — ils avaient tous deux fréquenté des soirées, des nightclubs ou des fêtes en plus petit comité, parfois entre amis, parfois juste en couple. Même dans des boîtes normales, l'ambiance n'était guère différente, une décennie plus tôt. Et le comportement de Namjoon non plus.

Danser, c'était une activité mystérieuse pour lui, dont la spontanéité lui était inconnue. Il savait que la danse dans ce type d'établissement ne requérait pas d'habileté particulière, ni de mouvements chorégraphiés à l'extrême. Il fallait juste se laisser aller.

Dara non plus ne savait pas danser. Cependant, combien de fois l'avait-il vue, après quelques shots de soju, s'élancer sur la piste et y faire des merveilles, s'amusant comme si cette nuit était la dernière, et combien de fois l'avait-il contemplée bouger avec une aisance et un naturel touchants, comme si la musique et elle ne faisaient plus qu'un, complètement indifférente à l'idée qu'on puisse se moquer d'elle ? Combien de fois était-il resté planté au loin, faisant mine de discuter avec d'autres amis plus ou moins ivres, à la regarder du coin de l'œil avec admiration et tendresse, et aussi, il fallait bien le reconnaître, de l'envie ?

Oui, il éprouvait presque de la jalousie envers ces gens qui parvenaient à lâcher prise sur leur inhibition. Et ce soir, dans cette boîte homo, il rejetait encore davantage ces hommes qui se connaissaient eux-mêmes, qui se laissaient porter par la musique, sans avoir honte de ce qu'ils étaient. Tandis que lui restait coincé dans cette enveloppe rigide qui l'encombrait. D'hétéro devenu homo aux yeux des autres. De mec qui avait fait un enfant à sa femme et qui avait tout fait foirer.

– Moi non plus.

Jin le ramena sur terre.

– Moi non plus, je ne sais pas danser..., répéta celui-ci, et cette fois sa voix avait pris des allures de supplication.

Namjoon remua vivement la tête de gauche à droite. Non, il ne pouvait pas, ce n'était pas possible, il n'arriverait jamais à se débarrasser de la carapace dans laquelle il s'était emmuré. Quelque chose d'invisible le freinait, le retenait, l'empêchait d'en sortir, quand elle ne l'entraînait pas carrément en arrière.

– Jin, je..., commença-t-il.

Les doigts de Jin, s'articulant soudainement autour des siens, avec la caresse tendre d'une plume, le firent taire, chassant au passage les excuses bidons qu'il se cherchait.