Prologue

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Morts. Tous morts. D'un geste vif, Aria retira sa lame du Chymère devant elle. Elle étouffa un cri quand le pommeau de l'épée vint taper contre ses côtes brisées. La créature retomba lourdement à ses pieds. Elle lui lança un regard haineux. Plus grande qu'un homme, elle portait une cotte de maille rudimentaire ainsi qu'une volumineuse épée. La lame, émoussée, devait avoir perdu beaucoup de son tranchant. Mais après tout qu'importe ! Qu'il s'agisse d'une épée, d'une hache ou d'une lance, ces bêtes s'en servaient de la même manière : en tapant le plus fort possible. Technique qui, hélas pour elle, s'était révélée fort efficace lors de la confrontation entre leurs deux armées. Haletante, elle se releva et contempla une nouvelle fois le champ de bataille. Le soleil couchant nimbait la plaine d'une lumière pourpre, donnant ainsi l'impression que tout était recouvert de sang. Mais c'était peut-être le cas après tout. Les corps désarticulés de ses hommes s'entassaient en de macabres monticules. Les membres arrachés gisaient entre les cages thoraciques défoncées et les épées brisées. Elle serra les dents mais continua son inspection. Elle ne détournerait pas le regard. Soudain, un éclat attira son attention. Coincé sous un corps, l'objet renvoyait la lumière vermeille de l'astre solaire. Elle s'approcha en titubant. C'était une opale. Elle la voyait maintenant. Une opale de feu. La pierre précieuse qui faisait la richesse de son royaume. Elle eut un sourire crispé. Sûrement un porte-bonheur apporté ici par un de ses soldats. Ses iris remontèrent jusqu'au visage de l'intéressé. Celui-ci était caché sous un casque qu'elle n'eut pas le courage de retirer. Le reste de son corps reposait dans une position grotesque, les membres repliés, comme une poupée de chiffon qu'on aurait jeté. Elle eut envie de rire. Les nerfs sans doute. Son attention revint sur l'opale. La pierre luisait faiblement, peinant à réfléchir la lumière déclinante. Elle tendit la main. Enfin voulut la tendre. A sa grande surprise, son bras ne répondit pas. Il pendait mollement le long de son torse. Elle retint un haut le cœur. Son épaule s'était déboîtée. Dans l'action de la bataille, l'adrénaline aidant, elle ne s'était rendue compte de rien. Elle inspira profondément et rejeta son bras en arrière. Une douleur cuisante suivit le craquement des os qui se remettaient en place. Elle se mordit la lèvre jusqu'au sang mais ne cria pas.

- Majesté ?

Elle fit signe à l'homme de patienter, le temps de reprendre son souffle, puis se redressa, aussi dignement que possible.

- Oui ?

Le soldat n'était pas en meilleur état qu'elle. Son casque était tombé et un filet de sang coulait le long de ses tempes. Ses mains tremblaient mais restaient solidement ancrées autour de sa lance. D'un bref mouvement de tête, Aria l'encouragea à poursuivre.

- Ils... ils arrivent.

Pendant quelques secondes, son cœur oublia de battre, avant de rattraper son retard avec un rythme effréné. Elle sentit ses jambes se dérober sous elle et son épée glisser de ses mains moites. Puis elle croisa le regard du jeune soldat. Elle y lut la même peur qui l'habitait à cet instant. Cela lui fit l'effet d'une douche froide. Elle ramena sa volumineuse chevelure derrière sa nuque, dans un geste aussi féminin qu'inutile. Cependant, cela lui permit de retrouver ses esprits.

- Très bien. Préviens les autres, nous allons les accueillir.

L'homme se raidit avant de s'incliner en une brève révérence. Elle le regarde s'éloigner du coin de l'œil. La douleur dans son épaule s'était légèrement estompée. Quand elle fut sûre qu'il ne l'entendrait plus, elle laissa échapper un long soupir avant de se tourner de nouveau vers l'opale. Elle hésita un instant puis plongea sa main sous la carcasse du soldat et en extirpa la pierre. Celle- ci luisait faiblement dans sa paume, sa délicate couleur miel transpercée par des éclats de lumière verts et mauves. Elle la glissa dans son corset et fit volte face. D'un pas qu'elle voulut assuré, elle rejoignit ses hommes. Ils devaient être vingt, peut-être moins. Aria grimaça. Ils étaient trop peu. Elle se plaça néanmoins au centre des survivants, la tête haute. Elle sentait contre son sein le contact dur et froid de l'opale et cela la rassura, un peu.

AndoraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant