Andora

Chapitre 7

Tinaïg était inquiète. En trente ans de soins, c'était bien la première fois qu'elle voyait ça. « Et pourtant j'en ai vu des choses ! » se plaisait-elle à répéter. Assise dans la cuisine du Nig'rum, elle se préparait un thé, espérant que l'eau chaude parvienne à calmer ses nerfs. L'enfant était arrivée il y a quatre jours. Elle avait été trouvée inconsciente dans la campagne, par des paysans venant en ville. Son corps était sale mais dépourvu de blessures, si ce n'est quelques ecchymoses. Elle s'était réveillée trois heures après son arrivée. Jusque là, rien d'anormal, c'était après que les choses s'étaient compliquées. Depuis son arrivée, elle n'avait pas prononcé un mot et refusait le moindre contact. Elle ne dormait pas, étant donné les cernes qui maquillaient ses yeux et, bien que la nourriture disparaisse de son assiette, Tinaïg aurait mis sa main à couper qu'elle ne mangeait pas non plus. « Il suffit de voir comment elle maigrit » songea-t-elle en trempant ses lèvres dans le liquide parfumé. Elle avait tout essayé, tout ! La compassion, la colère, les jeux, le silence... rien n'avait fonctionné. C'était à peine si l'enfant s'était aperçue de sa présence ! Elle posa le front sur la table, découragée. Elle qui se félicitait d'avoir su développer au fil des années une certaine empathie qui lui valait le soutien de tous, elle se trouvait totalement désorientée devant cette fillette qui restait assise à se balancer d'avant en arrière.

- Mais ça ne se passera pas comme ça ! se reprit-elle. J'y arriverai ! Même si c'est la dernière chose que je dois faire de ma vie, j'arriverai à comprendre cette petite !

Elle ponctua sa tirade d'un grand coup de poing sur la table, renversant du thé brûlant par la même occasion.

- Aïe!

- Quel entrain ! clama une voix derrière elle. Tu sais que tu as raté ta vocation ? Tu aurais dû être chef de guerre ! 

Épongeant le liquide, elle sourit.

- Et toi, troubadour, vu ton sens de l'humour. 

L'homme s'esclaffa.

- Avec mes deux mains gauches, j'aurais eu peu de chance de faire carrière. Mais dis moi, de qui parlais-tu avec tant de fougue ?

- De la petite qu'on nous a amenée. La gamine brune avec de grands yeux violets. 

Il fouilla un instant sa mémoire avant de secouer négativement la tête.

- Jamais vu ! 

Tinaïg soupira.

- Tu as bien de la chance ! Cette enfant est une énigme pour moi ! Elle ne dort pas, ne parle pas, ne mange pas ! C'est à peine si elle boit !

- Au moins, elle ne coûte pas cher à entretenir. D'accord, d'accord ! Je n'ai rien dit ! se reprit-il devant le regard de la femme.

Découragée, celle-ci s'affaissa sur sa chaise et but une nouvelle gorgée de thé. Elle grimaça aussitôt : il avait trop infusé.

- Mais concrètement qu'est-ce qu'elle a ?

- Je n'en sais ! Physiquement, ça a l'air d'aller alors... Ça me coûte de l'admettre mais je ne sais vraiment pas ce qui lui arrive !

Le silence s'installa, tout juste troublé par les clapotis du bouillon qui réchauffait dans l'âtre. Ce fut Tinaïg qui le rompit.

- Je crois qu'elle se laisse mourir.

- Pardon ?

- Je ne vois pas d'autre solution ! Mais qu'est-ce qui peut conduire une gamine de son âge à de telles extrémités ?