Une rivale de taille, Cécile

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    Les couloirs de l'aile Est de l'énorme château de Fanellon étaient silencieux. Tous les hommes étaient encore au banquet à parler affaires, tandis que les femmes qui n'y étaient pas regardaient les étendues du royaume tout en bavardant sur le balcon dont la renommée était aussi certaine que celle de la forteresse elle même. Trônant au centre des flatteries et plaisanteries, la fille du marquis de Vénétie en Italie, Cécile De Melcorto, s'assurait, entre deux réponses aux remarques de ses suivantes, que le vin coulait à flot en l'occasion de cette sauterie. Renommée pour sa popularité et son habileté à faire naître ragots et secrets, dame Cécile occupait la fonction d'organisatrice royale.
La vie n'avait pas gâté la demoiselle De Melcorto. En effet, au milieu de sa peau de miel, contrastant avec ses jolis yeux noirs et ses lèvres du rouge d'Italie, était planté le nez le plus proéminent et disgracieux qui puisse être. Son petit air de fouine frénétique, n'arrangeait rien au physique ingrat de la jeune femme. C'était ainsi qu'elle faisait fuir nombre de potentiels fiancés.
Dont un des plus bienveillant à son égard pourtant, le roi lui même.

L'année passée, nombre de gens importants avaient souhaité à Cécile un heureux anniversaire pour ses dix-huit ans, une date importante. Cela avait notamment été le cas d'Octave qui, sans la connaître mais par simple enjeu diplomatique, avait rédigé une missive des plus formelles. Mais étrangement, la demoiselle, toute troublée de l'attention du dauphin, lui avait répondu et engagé l'échange. Et il avait eu le malheur, dans sa politesse coutumière, de répondre à nouveau. Et elle ne l'avait plus lâché. Follement éperdue du souverain en l'espace de quelques lettres, elle le lui avait déclaré. Et lui l'avait repousser. Furieuse, elle avait été mander la rupture de l'alliance avec Fanellon à la cour d'Italie. Mais le roi, tenant à cette entente, avait simplement conclu un accord avec Octave: il n'aurait pas à épouser la fille du marquis, mais il devait l'inviter à rejoindre la cour de Fanellon en réparation de son manque de galanterie. C'était ainsi que l'hideuse dame De Melcorto s'était retrouvée organisatrice du roi à la cour de Fanellon, pour son plus grand bonheur. Elle lorgnait donc farouchement sur Octave, comme son promis.

Elle exerçait notamment ses dons d'organisatrice lors de ce ballet d'influences qu'était la soirée réservée aux nobles dames de ce soir. Comme on pouvait s'y attendre, elle avait donc invité la nouvelle arrivante: Maria De Sierra. Pour une nouvelle dame qui souhaitais s'intégrer, ce genre d'occasion était crucial. Lourd jupon, soie précieuse, couleur chatoyante, corset brodé et parures inestimables, tout devait être parfait jusqu'à la pointe des talonnettes pour faire bonne impression à celles qui se chargeraient de vôtre réputation. Ainsi chacune attendait au tournant l'allure de la princesse d'Espagne ce soir.

La princesse ouvrit les portes et posa son pied dans la salle à l'instant précis où l'horloge sonnait. Toutes les têtes se tournèrent alors vers elle à mesure qu'elle avançait. L'on contemplait d'abord le bas de ses jupes qui, dans leur mouvement, laissaient entrevoir, un pas après l'autre, ses escarpins dorés dont le bruit de claquement sur le marbre froid attirait l'ouïe avant le regard, puis l'on remontait à sa saya en suivant docilement la ligne que dessinait ses courbes voluptueuses. Lorsque ensuite la cascade noirée de cheveux découlant sur une poitrine parée de de rubis se livrait à la vue pudique des dames de la soirée, on savait déjà pertinemment qu'une telle créature n'avait plus rien à prouver. Il s'en fût ensuite une farandole de compliments de politesses et de révérences plus profondes les unes que les autres, jusqu'à ce que Maria ne se présente devant l'hôte de la soirée. Elle s'inclina:
-Bonsoir Dame Cécile. Vous m'avez fait mander ?

La fille de marquis resta un moment perplexe devant l'allure de Maria. Puis elle sourit poliment :

-Mander non, je vous ai invité voyons. Voyez vous c'est comme cela qu' on dit à la cour.

La princesse arqua un sourcil en entendant le ton presque insolent qu'avait employé Cécile.

-Oui, je sais comment on-dit. Au cas où vous l'auriez oublié, je suis...

La demoiselle De Melcorto ne la laissa guère finir:
-Assez de présentations, je sais qui vous êtes, et il est évident que vous savez qui je suis. Maintenant si nous parlions affaires voulez vous ?

Son interlocutrice croisa les bras:
-Affaires ?

-Affaires. Un tournoi en l'honneur du nouveau roi aura lieu dans quelques jours, et c'est moi qui suis chargé de l'organisation. Le roi offrira une rose rouge à celle qu'il désignera comme sa favorite, si il y en a une, comme le veut la tradition.

Maria sourit:
-Voilà qui est intéressant.

Cécile poursuivit:
-Quoiqu'il en soit, j'aimerais éclaircir un point: c'est moi qui mérite d'obtenir ce statut. Je me dévoue corps et âme à sa majesté depuis bien avant vôtre arrivée, et j'apprécierais que vous restiez à votre place.

Maria resta quelques instants silencieuse. Elle finit par éclater de rire:
-Vous êtes sérieuse ?

La demoiselle De Melcorto eut un sourire tout à fait monstrueux :
-Princesse ou pas, je bénéficie d'une protection ici, et je suis très influente. Alors je vous conseillerais de ne pas vous faire de moi une ennemie.

La princesse réfléchis tout en contemplant sa rivale. Enfin son visage s'éclaira et elle dit poliment :
-Aucun problème.

Cécile arqua un sourcil suspicieuse, puis après s'être incliné brièvement, revint auprès de ses dames de compagnie. Elle ignorait cependant à quel point Maria prisait les roses rouges.

La cour du roi : Les cousines de l'eauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant